Royaume-Uni : le retour du nucléaire

grande_bretagne.jpgSuite à la consultation qui s’est tenue de mai à octobre 2007, le gouvernement britannique a publié le 10 janvier 2008 un livre blanc sur l’énergie nucléaire. Dans ce document, le Ministère de l’industrie (le DBERR, Department for Business Entreprise and Regulatory Reform) présente la politique qu’il souhaite mettre en place pour relancer la construction des centrales nucléaires au Royaume-Uni. Cette relance aura pour double objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de garantir la sécurité de l’approvisionnement en énergie du Royaume-Uni.

Cette relance du nucléaire est présentée comme devant être uniquement à l’initiative et à la charge des entreprises. Les autorités publiques auront pour rôle de faciliter les investissements privés. Ainsi, l’état ne prévoit pas de subventionner le secteur. Les entreprises devront prévoir de financer l’intégralité des coûts d’exploitation, y compris les coûts liés à la gestion des déchets et au démantèlement des centrales.

Les enjeux du nucléaire

La situation du nucléaire civil au Royaume-Uni a évolué rapidement au cours des dernières années. Dans le livre blanc de 2003, le nucléaire avait été jugé peu attractif d’un point de vue économique et son abandon semblait de mise. En novembre 2005, Tony Blair est revenu sur cette décision en annonçant que le gouvernement étudierait à l’avenir la possibilité du renouvellement du parc vieillissant (voir notre dossier consacré à l’énergie nucléaire au Royaume-Uni de février 2006). Deux facteurs expliquent principalement ce changement de cap concrétisé le 10 janvier 2008 avec la publication d’un nouveau livre blanc :

– le réchauffement climatique qui est, depuis peu, pris très au sérieux au Royaume-Uni, notamment en raison du rapport Stern publié en 2006 évaluant son coût économique. Afin de contrer le réchauffement planétaire, le gouvernement britannique s’est fixé des objectifs nationaux très ambitieux, encore plus exigeants que ceux fixés par le protocole de Kyoto : -26% d’émissions de gaz à effet de serre en 2020 et -60% en 2050 (par rapport à 1990). Le nucléaire, avec un niveau d’émission en dioxyde de carbone similaire à celui des énergies renouvelables peut permettre d’atteindre ces objectifs. De plus, cette solution est aujourd’hui nettement moins coûteuse que les nouvelles technologies de l’énergie. Ceci représente un argument économique important pour le pays.

– la sécurité des approvisionnements en énergie qui représente un enjeu majeur pour l’avenir. D’ici quelques années, le Royaume-Uni devra en effet faire face à la fermeture de la majorité de ses centrales nucléaires (d’ici 2023, seule une centrale nucléaire sur les dix actuellement en marche sera fonctionnelle). De plus, la crise pétrolière avec la hausse des prix du baril de brut et l’amenuisement des ressources britanniques en mer du Nord, expose le Royaume-Uni à beaucoup d’incertitudes. On peut également ajouter à cela les incertitudes liées aux prix futurs des taxes carbones. C’est pourquoi le Royaume-Uni a besoin de développer une stratégie pour assurer son indépendance énergétique. De ce point de vue, l’énergie nucléaire offre plusieurs garanties. Le livre blanc insiste tout d’abord sur le nombre et la stabilité des pays producteurs d’uranium (par exemple, le premier fournisseur du Royaume-Uni est l’Australie). Ensuite, les réserves en combustible du Royaume-Uni sont significatives et pourraient permettre à trois centrales modernes d’un Gigawatt chacune de fonctionner pendant près de 60 ans.

Ainsi, le gouvernement est convaincu que la relance de l’énergie nucléaire permettra au Royaume-Uni d’atteindre ses objectifs environnementaux tout en assurant son approvisionnement énergétique. Le livre blanc insiste également sur la nécessité d’élargir le nombre de sources d’énergie. Dans ce cadre, et toujours avec l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre, le Royaume-Uni veut promouvoir les énergies renouvelables, la capture et la séquestration géologique du carbone, la microgénération, ainsi que l’efficacité énergétique des bâtiments.

Mais le gouvernement reste très prudent sur ces nouvelles technologies qui n’ont pas encore prouvé leur fiabilité à l’échelle industrielle. Au contraire, pour les auteurs du livre blanc, le nucléaire apporte des certitudes en terme de compétitivité économique, de fiabilité, de sûreté et d’émissions de gaz à effets de serre. C’est pourquoi, le Royaume-Uni souhaite donner au nucléaire une place significative dans son futur bouquet énergétique.

La stratégie politique

Dans son livre blanc, le gouvernement britannique invite les acteurs privés à relancer leurs projets afin de mettre en service d’ici 2020 de nouvelles centrales nucléaires. Pour laisser une entière liberté aux opérateurs privés, le livre blanc ne fixe aucun plafond au nombre de nouvelles centrales. Cependant, compte tenu des sites disponibles, dix centrales pourraient voir le jour dans les vingt prochaines années.

En contre partie, l’Etat assure qu’il développera une politique de contrôle afin de garantir la sécurité des futures centrales nucléaires. Le gouvernement s’est également engagé à mettre en place un système de fonds de garantie qui devrait assurer que les coûts liés à la gestion des déchets et au démantèlement seront bien à la charge des acteurs privés.

Le livre blanc indique que les premières centrales construites dans le cadre du nouveau programme devraient être opérationnelles en 2019. Leur mise en service sera l’aboutissement d’un calendrier ambitieux. Il prévoit pour les années 2008 et 2009 :

– un vote pour modifier les règles d’urbanisme afin de faciliter la délivrance des permis de construire ;

– un vote pour définir les lois liées à la gestion des déchets et au démantèlement ; dans ce domaine, le livre blanc écarte l’option du retraitement des déchets et laisse ouverte la possibilité d’un stockage géologique pour les déchets à vie longue (l’ouverture d’un site pour 2050 est d’ailleurs évoquée) ; une consultation est prévue pour les déchets de faible activité qui ne sont pas destinés à être enfouis ; l’autorité de démantèlement nucléaire (Nuclear Decommissing Authority, NDA) étudie actuellement les sites d’entreposage existants pour déterminer ceux qui pourraient accueillir les déchets produits par les nouvelles centrales ;

– une évaluation des sites nucléaires avec une préférence pour les sites nucléaires déjà existants. La volonté de faciliter les connexions au réseau électrique et de limiter les oppositions locales incitent le gouvernement à se concentrer dans un premier temps sur ces sites ; dans ce domaine, il est à noter que les autorités d’Ecosse, du Pays de Galles et d’Irlande du Nord ont exprimé le souhait que les prochaines centrales ne soient pas construites sur leurs territoires ;

– une évaluation technique des différentes technologies de réacteurs de génération III (voir notre dossier consacré à l’énergie nucléaire au Royaume-Uni de février 2006).

Pour les années 2010-2012, le calendrier prévoit :
– la délivrance des licences de certification pour les réacteurs sélectionnés ;
– la présentation des projets avec proposition de site par les acteurs privés ;
– l’obtention des permis de construire.

Si ce calendrier est maintenu, la construction des premières centrales devrait débuter en 2013.

Les points de discussion

Les objectifs présentés dans le livre blanc ont obtenu le soutien des conservateurs (Tories). Ceci signifie que la relance du programme nucléaire ne devrait pas être remise en cause si dans l’avenir l’opposition revenait au pouvoir. Cette initiative a également réjoui les acteurs industriels. On peut noter par exemple que EDF Energy a d’ores et déjà annoncé qu’il souhaitait construire quatre centrales nucléaires au Royaume-Uni afin de répondre à la demande en énergie de ses clients. L’opinion publique semble encore partagée sur cette décision mais il ne semble pas y avoir d’opposition massive en défaveur de la relance du programme nucléaire civil.

Cependant de nombreux commentaires sont venus critiquer plusieurs manquements dans la démarche que le gouvernement souhaite mettre en oeuvre. Tout d’abord, Tom Burke, professeur à Imperial College London et conseiller du gouvernement sur l’environnement, se demande comment le Royaume-Uni fera face à la crise de l’approvisionnement en énergie qui devrait avoir lieu avant la mise en service des premières centrales nucléaires. En effet, les incertitudes sur la période 2015-2018 sont toujours présentes et ne sont pas signalées dans le livre blanc. Les délais de mise en service posent également le problème de la « décarbonisation » de l’économie britannique : celle-ci ne sera pas significative avant la mise en service des premières centrales, c’est-à-dire au minimum dans dix ans.

D’autre part, le professeur Burke souligne que le nucléaire est, comme les énergies renouvelables, une énergie qui manque de flexibilité car elle ne s’adapte pas aux pics de consommation d’électricité. C’est pourquoi, pour assurer l’approvisionnement en énergie, Tom Burke estime que le Royaume-Uni aura besoin de la flexibilité des combustibles fossiles. Dans ce domaine, il est important de noter que dans l’Energy Bill (la loi sur l’énergie), publiée le même jour que le livre blanc sur l’énergie nucléaire, le gouvernement fait de la capture et de la séquestration géologique du carbone une priorité. En effet, le gouvernement annonce qu’il souhaite mettre en place un ensemble de réformes pour favoriser l’investissement industriel dans ce secteur. Cette démarche montre bien que le gouvernement britannique ne souhaite pas s’affranchir de l’efficacité des combustibles fossiles et qu’il souhaite en parallèle maintenir ses objectifs en matière d’émissions de gaz à effets de serre.

D’autres commentaires sur le livre blanc soulignent la menace que pourrait représenter le fait de laisser uniquement la responsabilité des investissements au secteur privé. Pour certaines sommités comme Dieter Helm, professeur en politique énergétique à l’Université d’Oxford, cette idée est tout simplement illusoire. Il souligne d’ailleurs qu’en raison des investissements à très long terme que cela exige (notamment pour la gestion des déchets), aucun programme nucléaire dans le monde n’a été lancé jusqu’à présent sans le soutien financier de l’Etat. Le professeur Helm critique également le rôle que British Energy pourrait avoir dans les futures centrales. En effet, les sites qui seront retenus appartiendront très probablement à cette société. Ceci signifie que British Energy, bien que critiqué en raison de problèmes techniques récurrents, devrait être un acteur clé dans le nouveau programme nucléaire.

Enfin, de nombreux commentaires, comme celui du vice-président de la Royal Society, Peter Williams, insistent sur le problème des compétences dans le nucléaire. Dans ce domaine, les programmes universitaires britanniques sont peu nombreux. De plus, le personnel qualifié est vieillissant et la majorité partira à la retraite dans les dix prochaines années. Ainsi, le Royaume-Uni sera obligé, dans un premier temps, d’importer de la main d’oeuvre étrangère pour pallier le manque de qualification dans ce domaine. A plus long terme, il sera nécessaire de remédier au problème de la formation dans le nucléaire. A ce sujet, nous pouvons remarquer que le gouvernement a récemment lancé un centre de formation pour les métiers du nucléaire (National Skills Academy Nuclear) qui devrait assurer la formation continue. Les universités auront également un rôle à jouer pour former les ingénieurs de demain et organiser la recherche dans ce domaine. Imperial College London et l’Université de Manchester sont actuellement les leaders britanniques du nucléaire. D’autres universités comme Birmingham, Bristol, Cardiff, Leeds et Sheffield ont prévu de mettre en place d’ici peu des programmes d’éducation de Master et de doctorat.

Nous pouvons aussi remarquer que l’Université de Manchester a récemment reçu un appui de l’EPSRC (Engineering and Physical Sciences Research Council, le conseil de recherche dédié à la physique et aux sciences de l’ingénieur) pour financer sur trois ans à hauteur de 2,1 millions de livres (environ 3 millions d’euros) le programme SPRing (Sustainability Assessment of Nuclear Power: An Integrated Approach). Ce programme doit permettre de développer des outils pour évaluer les bienfaits du nucléaire face aux autres technologies de l’énergie. Ceci témoigne de la volonté du gouvernement britannique de relancer des programmes de recherche importants dans l’énergie nucléaire.

Pour conclure, nous pouvons noter que la majorité des commentaires sur la relance du nucléaire au Royaume Uni ne remet pas directement en cause la décision du gouvernement. La volonté du gouvernement d’aller de l’avant dans ce domaine est forte et majoritairement acceptée. Le gouvernement assume cette prise de position et mettra en oeuvre toutes les décisions politiques pour que de nouvelles centrales voient le jour d’ici 2020 au Royaume-Uni.

BE Royaume-Uni numéro 84 (13/03/2008) – Ambassade de France au Royaume-Uni / ADIT
http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/53501.htm

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