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« Il n’est pas de bon ton de dire la vérité sur l’agriculture »

François Veillerette, président de l’association MDRGF devenue Générations Futures, s’exprime au lendemain d’un Salon de l’agriculture, sur la question des pesticides. Revenant sur la polémique lancée par la campagne média de France Nature Environnement, le vice-président régional Europe Ecologie en Picardie dénonce le déni actuel des avancées promises par le Grenelle de l’environnement.

En ouverture du récent Salon de l’agriculture, FNE a lancé une campagne d’affichage qui a provoqué une vive polémique chez les politiques mais aussi chez les agriculteurs. Cautionnez-vous cette communication choc ?

La campagne de FNE leur appartient mais si vous regardez objectivement les messages, lorsque l’on vous montre une plage avec des algues vertes en disant que c’est lié à l’élevage intensif, ce ne sont que des faits. L’image de l’homme avec un épi de maïs sur la tempe? ça veut simplement dire que l’on joue à la roulette russe avec les OGM parce qu’on n’en connaît pas tous les dangers. Le reste c’est du cinéma, et ce n’est pas en continuant à jouer les vierges effarouchées que l’on va régler les problèmes de l’agriculture.

Je trouve scandaleux que ce soit FNE qui se retrouve au banc des accusés alors qu’ils ont fait une campagne, certes un peu choc, mais ce ne sont que quelques affiches dans trois stations de métro à Paris, et qui étaient justifiées sur le fond. Sur le fond, ces messages sont justes.

Mais, il est vrai qu’en ce moment, il n’est pas de bon ton de dire la vérité sur l’agriculture. Si on avait commencé à enregistrer des avancées depuis 2007, aujourd’hui on recule. On se rappelle des propos de Nicolas Sarkozy sur le thème, « l’environnement, ça commence à bien faire ». Pour moi, c’est plutôt ce recul qui commence à bien faire.

En répétant aux agriculteurs, « vous êtes les premiers écologistes de France » et les écolo sont des gens peu fréquentables, ils ne vont pas faire de progrès. Or, le boulot des écologistes est justement de montrer ce qui va mal pour se mettre ensuite tous ensemble autour de la table et faire avancer les choses ensemble. Ce n’est pas dans la dénégation d’une réalité connue de tous que l’on fait bouger les choses.

Cette campagne est la conséquence du déni actuel du Grenelle de l’environnement et des renoncements successifs du gouvernement.

Est-ce alors une bonne chose d’opposer agriculteurs et écologistes ?

Est-ce que sur une de ces affiches, il y a quoi que ce soit qui soit reproché aux agriculteurs en tant que tels ? C’est le système agricole qui est pointé du doigt, un système basé sur les OGM, sur l’élevage intensif… Le grand tour de passe-passe du ministre a fait croire que l’on attaquait les agriculteurs mais c’est le système que lui défend que l’on attaque.

On envoie les agriculteurs hurler contre les écologistes mais ce n’est pas eux que l’on attaque, encore une fois, c’est le système agricole qui d’ailleurs nuit aux agriculteurs. Ce sont non seulement les premières victimes des pesticides mais économiquement, ce système avec tous les élevages intégrés de porcs en Bretagne représente une catastrophe économique pour eux même, en devenant complètement dépendants des marchands d’aliments, des marchands de médicaments, les faisant travailler comme des chiens dans de très mauvaises conditions. C’est le système agricole tel qu’il a été promu par les différents gouvernements qui est dénoncé.

Yannick Chenet est un agriculteur décédé récemment d’un cancer suite à l’utilisation de substances dangereuses dans le cadre de son activité. Avez-vous une estimation du nombre de victimes des pesticides chez les agriculteurs ? Existe-t-il beaucoup d’autres Yannick Chenet en France ?

Nous connaissions Yannick Chenet. Nous l’avions rencontré dans le cadre de notre campagne sur les victimes des pesticides. Nous avons d’ailleurs mis en place un site sur les victimes des pesticides. On constate qu’il y a de plus en plus de cas de reconnaissances en maladies professionnelles, même si cela demeure très compliqué.

Quand on discute avec des agriculteurs, tous connaissent des collègues qui souffrent d’un cancer, des cancers qui sont potentiellement liés aux pesticides, ou de maladies neuro-dégénératives, comme la maladie de Parkinson. Alors, donnez un chiffre, c’est impossible pour nous. On attend les résultats plus précis d’une enquête « culture et cancer » qui doit être publiée.

Des résultats d’étape ont déjà été publiés l’année dernière. Si globalement, les agriculteurs sont en meilleure santé que le reste de la population, ils sont plus touchés par certains cancers liés aux pesticides. Des études françaises montrent par ailleurs le lien entre exposition aux pesticides et la maladie de Parkinson. Maintenant, nous ne disposons pas des chiffres de l’épidémie. Nous travaillons toutefois à rendre ces malades visibles de façon à changer les pratiques et les produits utilisés.

Quelle est l’attitude des syndicats agricoles et notamment de la FNSEA sur ce point ?

Je trouve leur attitude un peu ambiguë. En tant qu’association professionnelle, ils doivent défendre les intérêts de leurs adhérents, mais ils sont tellement liés au système agricole dominant, que finalement, ils ne font pas cette part du travail.

Les agriculteurs que nous rencontrons et qui sont touchés par la maladie nous disent tous qu’ils se retrouvent du jour au lendemain isolés, pire, ils sont presque pointés du doigt. De victimes, ils deviennent presque accusés. Celui qui est malade, c’est alors un mauvais professionnel, un faible? et il se retrouve socialement exclu. C’est donc la double peine. Ils sont malades et mis au ban de leur propre profession.

La FNSEA serait donc mieux inspirée de venir travailler avec nous pour qu’ensemble on puisse demander la promotion de l’agriculture qui expose moins les agriculteurs aux pesticides, plutôt que de combattre avec la plus grande énergie les écologistes, et défendre un système qui rend leurs adhérents malades.

Selon le plan Phyto mis en place par le gouvernement, la France devrait avoir réduit de 50% l’utilisation de pesticides d’ici 2018, pensez-vous que cet objectif est réalisable ?

Plus le temps passe et plus les chances d’atteindre cet objectif diminuent. L’important toutefois est d’être sur la bonne voie. En revanche, ce qui m’inquiète, c’est la lenteur des progrès.

On voit les premiers réseaux de fermes se mettre en place mais leurs performances ne sont pas forcément à la hauteur. Il y en a certains qui font déjà du moins 50% et d’autres qui ne proposent que du moins 25%. Or, le principe est que le prof doit au moins être aussi bon que les élèves, sinon, ça ne fonctionne pas.

Toutefois, selon les données du rapport de l’Inra, et contrairement à ce qu’en a déduit le gouvernement, réduire de 50% cette utilisation pour les grandes cultures, ne fait perdre que peu de rendement, permettant même d’augmenter la rentabilité dans les céréales parce qu’on limite le coût des intrants. Il faudrait donc que le gouvernement se reprenne pour que l’on retrouve la voie du progrès vers le changement des systèmes de cultures.

C’est ce que visait l’Inra en 2005 et c’est ce qui a inspiré le Grenelle. L’idée était de changer progressivement les systèmes de cultures, augmenter les parts de l’agriculture bio et généraliser les pratiques dites intégrées qui prennent en compte un certains nombres de mesures empruntées à l’agriculture biologique.

Ce sont ces systèmes qui permettent la prévention des pathologies des plantes et qui engendre une utilisation réduite de produits. Et cela fonctionne. Dans ma région, en Picardie, il existe des réseaux de fermes en place depuis des années et qui sont à moins 50% de pesticides sur les céréales.

Les agriculteurs sont-ils plutôt ouverts à ces nouvelles pratiques ?

C’est compliqué parce que pour certains, c’est difficile de modifier des pratiques usuelles. Il ne faut donc pas perdre de temps, mettre les moyens et surtout afficher une politique volontariste. C’est là que l’attitude du gouvernement est incroyablement non productive.

Quand on envoie un double message avec d’un côté un plan EcoPhyto et de l’autre, tout se qu’on entend comme « l’environnement ça suffit », ou « vous êtes les premiers écologistes », cela ne pousse pas à être ambitieux, à aller de l’avant pour changer vraiment, mais cela pousse plutôt à rester sur ses positions. C’est un message qui est envoyé de manière insidieuse aux agriculteurs.

La « pause environnementale » d’aujourd’hui est absolument inacceptable, tout le monde est engagé, aussi bien les agriculteurs que le gouvernement, ou que les associations de défense de l’environnement. Tout le monde devrait travailler ensemble pour atteindre les objectifs plutôt que de s’opposer les uns aux autres.

Une étude américaine publiée récemment démontre que les pesticides se retrouvent dans les maisons, vous confirmez ?

Oui, c’est d’ailleurs nous qui l’avons diffusé. Il s’agit d’une étude menée par le National Cancer Institute et publiée dans la revue Environmental Health Perspectives et qui révèle que les pesticides employés dans les zones agricoles peuvent se retrouver dans les tapis des maisons dans un rayon de 1.250 m.

Aucune loi n’envisage de distance limite ou une protection des habitations ?

En France, il n’existe pas de distance de sécurité pour les pulvérisations « ordinaires ». Il en existe en revanche pour des pulvérisations aériennes. Seul un arrêté qui date de 2006 demande aux agriculteurs de faire en sorte que les produits utilisés restent dans la parcelle et qu’ils ne doivent pas être utilisés en cas de vent de force supérieure à 3 beaufort.

Cet arrêté est précisément attaqué actuellement par un certain nombre de professionnels, suite à des plaintes déposées contre des agriculteurs qui visiblement, pulvérisaient par des vents excessifs. Les producteurs de fruits et légumes essaient de faire sauter cet arrêté par tous les moyens. Cela a d’ailleurs été évoqué dans le Canard Enchaîné la semaine dernière.

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