Des citoyens touchés par le changement climatique poursuivent les gouvernements de plus de 30 pays européens dans trois affaires distinctes devant la Cour européenne des droits de l’homme, alléguant que l’inaction de l’État a violé leurs droits humains.
Ce sont les premières affaires de ce type à être entendues devant la Cour de Strasbourg, et elles pourraient aboutir à des injonctions pour les gouvernements concernés de réduire les émissions de dioxyde de carbone beaucoup plus rapidement que prévu actuellement.
La première affaire entendue le 29 mars porte sur l’impact sur la santé des vagues de chaleur induites par le changement climatique, dans une affaire intentée par des milliers de femmes suisses âgées contre le gouvernement suisse dans le cadre d’une bataille juridique de six ans.
Le même jour, le tribunal entendra une affaire portée par Damien Carême, député européen français des Verts, qui conteste le refus de la France de prendre des mesures climatiques plus ambitieuses.
La troisième affaire, qui doit être entendue après l’été, concerne six jeunes Portugais, qui affrontent 33 pays – dont les 27 États membres de l’Union européenne, la Grande-Bretagne, la Norvège, la Russie, la Suisse, la Turquie et l’Ukraine.
Eux aussi soutiennent que ces pays ont violé leurs droits et devraient être sommés de prendre des mesures plus ambitieuses pour lutter contre le changement climatique. Six autres affaires climatiques sont en cours.
Mais de quels droits s’agit-il ?
Ces affaires seront la première fois que la Cour examinera si les politiques jugées trop faibles en matière de changement climatique, peuvent porter atteinte aux droits humains des personnes inscrits dans la Convention européenne.
Les femmes suisses soutiennent qu’en ne réduisant pas les émissions conformément à la trajectoire de l’accord de Paris qui limite le réchauffement climatique à 1,5 ° C, leur pays a violé, entre autres, leur droit à la vie.
L’affaire cite le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations Unies – qui a constaté avec une très grande confiance que les femmes et les personnes âgées sont parmi les personnes les plus exposées au risque de mortalité liée à la température pendant les vagues de chaleur – et utilise les dossiers médicaux des demandeurs pour montrer leur vulnérabilité.
La candidature de Damien Carême, déposée en 2019 alors qu’il était maire de la commune de Grande-Synthe, dans le nord de la France, évaluera si une action gouvernementale insuffisante peut constituer une violation du droit à la vie, en exposant les habitations des personnes au risque climatique.
Dans son cas, le Conseil d’État français a déjà ordonné au gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour réduire les émissions de 40 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2030.
Il va maintenant demander au tribunal européen d’évaluer si l’incapacité du gouvernement à faire plus pour lutter contre le changement climatique a violé son droit à la vie privée et familiale.
Les jeunes portugais affirment également que les 33 pays n’ont pas réussi à s’entendre pour réduire les émissions assez rapidement pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Ils soutiennent que leur droit à la vie est menacé par les impacts alimentés par le changement climatique, comme les incendies de forêt, et que le fait de ne pas lutter contre le changement climatique est discriminatoire à l’encontre des jeunes qui seront les plus durement touchés.
L’un des jeunes a par exemple été empêché d’aller à l’école pendant des jours en raison de la quantité de fumée dans l’air provenant des incendies de forêt.
Quels enjeux pour les gouvernements ?
L’issue des affaires devant la Cour européenne des droits de l’homme pourrait avoir des effets d’entraînement plus larges, en soutenant ou en sapant les chances que des affaires similaires soient gagnées à l’avenir – à la fois devant les tribunaux nationaux ou devant le tribunal de Strasbourg.
Une victoire pourrait également encourager davantage de militants et de citoyens à intenter des poursuites similaires contre des gouvernements – ou, de même, une perte pour les demandeurs pourrait avoir un effet dissuasif sur d’éventuelles réclamations similaires.
Quelque huit pays se sont entassés dans la procédure suisse en tant que tierces parties, ce qui montre à quel point les affaires sont importantes pour eux.
Les 33 gouvernements impliqués dans l’affaire portugaise ont également tenté, sans succès, d’empêcher le tribunal d’accélérer leur affaire.
Certains des pays impliqués soutiennent que les affaires sont irrecevables, affirmant que ce n’est pas le travail de Strasbourg d’être la « cour suprême » sur les questions environnementales ou de faire appliquer les traités sur le climat, selon les termes de la Suisse.
Quelles sont les décisions attendues ?
Le fait que les trois affaires soient toutes renvoyées directement à la formation supérieure de la Cour – la « Grande Chambre » – est considéré comme significatif puisque seules les affaires soulevant des questions sérieuses quant à l’interprétation de la Convention y sont renvoyées.
Il y a déjà eu des affaires où les tribunaux nationaux ont confirmé les droits des citoyens en matière de changement climatique, notamment l’affaire « Urgenda » de 2019 aux Pays-Bas. Dans cette affaire, la Haute Cour néerlandaise a ordonné au gouvernement d’accélérer les plans de réduction des émissions de gaz à effet de serre, affirmant qu’il n’avait pas fait assez pour protéger ses citoyens des effets dangereux du changement climatique.
La Cour européenne des droits de l’homme traite généralement des affaires dans un délai de trois ans bien que cela puisse être plus rapide car au moins le cas suisse a un statut prioritaire.
L’affaire suisse demande au tribunal de prescrire des réductions importantes des émissions dans un délai de trois ans, ce qui garantirait que les niveaux soient « nets négatifs » par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2030.
Un panel de 17 juges statuera sur les cas et les résultats ne pourront pas faire l’objet d’un appel.
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