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« Avec de nombreux cancérogènes, le principe de précaution doit s’appliquer »

isabelle_stucker.JPGIsabelle Stücker, épidémiologiste, directeur de recherche à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), co-auteur du rapport que vient de publier l’Institut sur les relations entre « Cancers et environnement », remis officiellement à l’Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail), le 2 octobre.

Tout d’abord, ce rapport est-il une première où existe t-il d’autres études récentes de ce type ?

Un rapport a été récemment publié en 2008 par le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) qui avait été commandé par l’Académie de médecine. L’étude s’intéressait à10 grands facteurs, pas seulement environnementaux, comme la nutrition, les facteurs infectieux, le tabac, etc. Cette étude a calculé la part de chacun de ces facteurs dans la survenance des cancers.

Pouvez-vous rapidement nous indiquer la méthodologie suivie pour cette étude ?

Nous avons étudié 9 cancers qui ont été choisis soit par ce que leur incidence augmentait, soit parce que ces cancers étaient connus pour être notoirement environnementaux, comme le cancer du poumon. A partir de ça, nous avons travaillé sur la base d’une relecture de toute la littérature scientifique, concernant notamment toutes les informations liées aux facteurs de risques environnementaux. Chaque co-auteur de cette étude s’est intéressé à son domaine scientifique. Pour ma part, j’ai travaillé sur le cancer du poumon. C’est une étude de synthèse des connaissances scientifiques, toxicologiques, et épidémiologiques produites sur le thème cancer et environnement.

Le rapport évoque « l’absence ou l’insuffisance des données » en la matière ?

Dans certains domaines, nous avons beaucoup d’informations comme par exemple la relation avérée entre l’amiante et le cancer du poumon. Mais ce qu’il nous manque globalement, s’agissant des cancérogènes « avérés » ou « certains », c’est la connaissance précise des niveaux d’exposition dans les différents milieux et de connaître aussi la proportion de sujets exposés à ces différents niveaux.

On a assez peu d’informations sur l’exposition de la population générale. Quelle est par exemple la proportion qui travaille dans des bâtiments floqués à l’amiante, etc. On manque cruellement de base de données permettant d’identifier les populations exposés aux différents cancérogènes que l’on connaît, et à quel niveau.

S’agissant des cancérogènes encore en discussion, « probables », « possibles », « débattus », etc. l’association causale est délicate. Par exemple, on se pose beaucoup de questions par rapport à l’exposition aux pesticides et l’apparition de pathologies comme les leucémies. Mais en revanche, on est beaucoup plus avancé dans la connaissance sur les expositions aux fumées de diesel et ses conséquences sur le risque de cancer du poumon. Dans ce cas, la cause est presque entendue.

Votre étude révèle t-elle des surprises ?

Je n’ai pas vraiment de scoop. Le processus de recherche est long en la matière. Il faut au moins 10 à 15 ans pour établir des réponses certaines et avérées. Par exemple, sur la question des pesticides, on a des doutes, mais l’affaire n’est pas encore entendue. En matière de pesticides, il existe plus de 1.000 substances différentes. Sont-ils tous cancérigènes ? Probablement pas. Quels cancers sont concernés ? Pour surveiller les agriculteurs qui ont manipulé ces pesticides, il faut des années pour constater la survenue de cancers.

Il est possible de travailler à partir de personnes déjà atteintes par des cancers pour lesquels on a des soupçons. Dans ce cas, on essaye de reconstituer leur exposition. Mais il est difficile de savoir précisément la nature de ces expositions, quand ont elles eu lieu, leur fréquence, à quelle dose, etc… On travaille avec beaucoup d’incertitudes. Et tout ça prend du temps.

Une des recommandations de cette synthèse c’est d’essayer de mettre en place des banques de données « historisées » pour que dans le futur on ait beaucoup plus de facilités en la matière. Avec le tabac, il a fallu beaucoup d’années pour aboutir à la certitude scientifique de ses effets sur le cancer du poumon. Les premières études sur le tabac datent des années 50. La classification par le CIRC de l’effet cancérigène du tabac date des années 80.

La règlementation existante est-elle suffisante ?

De nombreuses mesures existent déjà comme notamment dans le Plan national santé environnement, ou le plan radon. On a rendu officiellement un rapport à l’Afsset. L’agence va l’étudier et c’est son rôle de proposer des recommandations, ce qu’elle fera certainement très prochainement. Mais il est certain qu’en l’espèce, avec de nombreux cancérogènes, le principe de précaution doit s’appliquer.

> Pour en savoir + : Synthèse de l’étude Cancers et environnement

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