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« On met la charrue avant les boeufs, on autorise la mise en culture avant d’en évaluer le risque »

arnaud_gossement.JPGArnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement, docteur en droit, porte-parole de France Nature Environnement.

Comment avez-vous réagi au coup de théâtre parlementaire mardi dernier, qui a rejeté le projet de loi OGM ?

La motion de procédure ne nous a pas surpris, c’est le jeu normal du débat parlementaire. En revanche, nous n’avons pas beaucoup de doutes sur l’adoption du texte dans un délai plus ou moins court. La seule question qui nous intéresse était de savoir si ce texte allait évoluer en Commission Mixte Paritaire, or il semble que cela n’ait pas été le cas.

Assemblée nationale et Sénat s’étaient déjà mis d’accord sur les 9/10e des articles, seul l’article 1er, et encore, à la marge, devait faire l’objet de polémiques, même si cet article 1er est tout de même essentiellement déclaratif. Pour nous, sur le fond du dossier, sur les dispositions qui vont vraiment changer la donne en matière d’OGM, de toute manière les jeux étaient faits.

De plus, ainsi que l’a noté notamment Alain Bougrain-Dubourg, alors que certains souhaitaient voir le texte totalement abandonné et réécrit, cela aurait été prétentieux de notre part de penser qu’un nouveau projet de loi eut été meilleur que celui qui a été déposé cette fois-ci au Parlement. En réalité, nous avons donc été surpris sur le moment puisque cela prouve qu’un certain nombre de députés UMP éprouvent un certain malaise vis à vis de ce texte.

S’agissant du texte tel qu’il a été proposé à l’Assemblée, et qui semble-t-il ne sera pas modifié, quels sont, selon vous, ses forces et ses faiblesses ?

Nous sommes effectivement d’accord avec certaines des mesures prises isolément. Je pense notamment à la localisation géographique des parcelles qui permet de savoir qui cultive quoi et où. Il y a aussi le fait que l’exploitant agricole devra souscrire une obligation d’assurance avant de mettre en culture des OGM, et c’est aussi une bonne chose, d’autant plus que l’on sait pour l’instant que les assureurs ne souhaitent pas répondre à cette obligation.

Et puis surtout, une des forces du projet est la création du Haut Conseil, qui sera composé de membres d’associations, qui pourra être saisi par les associations, qui pourra émettre des avis en séance plénière, c’est à dire, avec une réunion des scientifiques et des non-scientifiques. De plus ce Haut Conseil a des missions très importantes parce que si l’on regarde bien, cette loi laisse un certain nombre de questions en suspend qui sont en réalité renvoyées vers le Haut Conseil qui devra en débattre, notamment la définition du « sans-OGM », la définition des critères d’évaluation du risque scientifique, écotoxicologique, liés aux OGM. Il va donc avoir des missions extrêmement importantes et le dossier est loin d’être refermé avec cette loi.

Il faut savoir également, et nous en sommes conscients, que cette loi a été élaborée à l’intérieur d’un cadre qui est celui de la directive 2001-18, et il ne s’agit pas d’une directive d’interdiction mais d’autorisation sous conditions. A l’inverse, même dans ce cadre de la directive, nous pensons que le gouvernement pouvait aller un peu plus loin, notamment sur le mécanisme de responsabilité qui est mis en place, qui n’est pas satisfaisant aujourd’hui car très restreint, qui ne garantit pas que les préjudices liés aux disséminations d’OGM soient effectivement indemnisés et qui n’est pas suffisamment non plus dissuasif. On reste un peu sur notre faim.

Sur ce point, la notion de responsabilité environnementale reprend sa route avec un examen au Sénat les 27 et 28 mai prochain, et devrait concerner pour partie les responsabilités liées à la contamination par dissémination d’OGM…

Le projet de loi de transposition de la directive de responsabilité environnementale va être inséré en introduction du Code de l’Environnement dans le livre premier, donc effectivement il influera sur les polices spéciales dont les OGM. Cela étant, quant il y a une disposition plus précise à l’intérieur d’une police spéciale, c’est celle-ci qui prévaudra puisque le projet de loi s’applique sans préjudice de ce qui est déjà prévu. Le système de responsabilité qui sera prévu dans cette loi sur les OGM ne sera pas battu en brèche par la loi sur la responsabilité environnementale.

Qu’auriez-vous souhaité voir figurer dans le projet de loi OGM ?

Plus qu’ajouter quelque chose, nous aurions souhaitez en retirer quelque chose à savoir l’idée de coexistence. Ce texte procède de l’idée que on peut demain faire coexister des cultures OGM et non OGM, ce qui nous paraît aberrant. Et, même à l’intérieur du cadre de la directive, on pense qu’il aurait été possible de procéder par étape, c’est à dire mettre d’abord le paquet sur l’évaluation du risque et de l’intérêt des OGM, notamment au travers du Haut Conseil, et ne pas immédiatement raisonner en terme de coexistence et renvoyer au seul ministre de l’Agriculture le soin de définir les conditions de mise en cultures des OGM, ce qui veut dire que le sujet va être traité de façon exclusivement agronomique par l’administration de l’agriculture qui, on le sait, est favorable aux OGM. Attention, on met la charrue avant les b?ufs, on autorise la mise en culture avant que l’intérêt ou le risque n’ait été évalué.

On aurait également aimé y ajouter une liste des informations non confidentielles étant donné que la loi ne tranche pas sur ce point. Quels sont les types d’études que nous, par exemple association, avons le droit de demander pour en avoir communication. Par le passé, nous avons déjà demandé des études et nous avons eu le plus grand mal à les obtenir voire pas du tout.

Nous aurions enfin souhaité un plus grand détail des responsabilités des différents acteurs de la filière. Un système de responsabilité pour faute est instauré pour les semenciers mais lorsque l’on a la pratique des tribunaux, on sait très bien qu’il sera très difficile de rapporter la preuve de cette faute. D’autant plus que contrairement à ce que disait Nicolas Sarkozy lors de son discours, il n’y a pas d’inversion de la charge de la preuve. La victime sera donc obliger de démontrer le comportement fautif de l’un des acteurs de la filière, hormis l’exploitant puisque pour ce dernier, c’est une responsabilité sans faute.

Il y a un problème de mise en ?uvre du texte. Ce texte affiche ici ou là de bonnes intentions, mais ensuite lorsque l’on se penche sur le détail, il va être difficile à mettre en ?uvre et même dans le cadre de la directive 2001-18 on estime que l’on aura pu faire mieux dans le sens de la protection des victimes de ses disséminations. Le projet de loi ne parle que du préjudice économique lié au fait par exemple qu’un bio perdre son label mais il ne parle pas des autres types de préjudices.

Par exemple, dans la filière bio, les coopératives agricoles bio sont obligées de dépenser de l’argent pour financer des systèmes de dépistage de traces d’OGM dans les lots de semences ou les produits issus des récoltes et tout cela à leur charge. Il n’est pas normal qu’un apiculteur soit obligé de dépenser de l’argent pour démontrer qu’il n’y a pas de traces d’OGM dans ses produits alors même qu’il n’a rien demandé.

D’une façon plus générale, comment avez-vous juger les travaux du Grenelle ainsi que la présentation de la loi Grenelle 1 faite par Jean-Louis Borloo dernièrement ?

Il faut bien voir que la tendance d’une association de défense de l’environnement comme la notre est de juger de la qualité d’un texte au regard de nos idées et de nos revendications. La difficulté du projet de loi Grenelle 1 est que nous ne devons pas le juger au regard de ce que nous avions mené comme idées au départ mais par rapport au compromis qui a été négocié au terme du Grenelle.

Ce compromis est nécessairement en-decà de nos revendications, mais en même temps on l’a signé. Il faut donc avoir le courage et l’honnêteté de défendre un compromis que l’on a approuvé, mais attention, pour nous ce n’est pas une fin en soi, c’est le commencement de quelque chose, en espérant que l’aboutissement soit le plus conforme à nos revendications.

Pendant toute le durée du Grenelle et même après, Jean-Louis Borloo nous a paru se battre pour que le processus du Grenelle soit mis en ?uvre et qu’il aboutisse. Nous n’avons aucun procès d’intention à son égard ni de raisons de penser qu’il n’ait pas pris à bras le corps le dossier.

Lorsque le projet de loi Grenelle est sorti, il comportait des enveloppes financières. Lorsqu’il évoque par exemple le financement d’une nouvelle ligne TGV, c’est une ingénierie financière qui est derrière et qui est extrêmement complexe, et le fait de donner une enveloppe ne veut malheureusement rien dire. Un nouveau calendrier législatif vient de sortir, et on regrette qu’il ait mis tant de temps.

Plus cohérent, il va permettre de départager de ce qui est de l’ordre de la transposition du droit communautaire de ce qui est de l’ordre de l’acquis du Grenelle. On va alors se rendre compte qu’en réalité l’acquis du Grenelle est pour une grande part de l’application de l’existant. Par ailleurs on voit également que le financement est renvoyé à la loi de finances qui est l’instrument normal du financement des mesures.

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