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« En milieu urbain, il faudrait un arbre par habitant »

Emmanuel_Mony.jpgEmmanuel Mony, Président de l’Union Nationale des Entrepreneurs du Paysage (UNEP).

Pour les Français, l’intégration des espaces verts dans la ville est-elle importante ?

Aujourd’hui, les Français font un lien direct entre la qualité du cadre de vie et la présence de verdure. C’est un phénomène nouveau que nous avons pu constater lors du Grenelle de l’environnement ou pendant les élections législatives. Dans cette dynamique de développement durable, les gens associent complètement la présence d’espaces verts avec l’amélioration de la qualité de l’air, la dépollution…

Les citadins veulent retrouver une part de campagne à la ville ?

C’est certainement leur souhait mais cela va au-delà. L’enquête Unep/Ipsos 2008 montre que presque 7 Français sur 10 vont choisir leurs lieux de vie en fonction de la présence d’un espace vert à proximité de leur habitation et que plus d’1 sur 2 réclame que soit instaurée l’obligation d’un pourcentage minimum d’espaces verts dans les projets immobiliers.

Avez des exemples de villes modèles en matière d’espaces verts ?

Nous nous apercevons aujourd’hui que pendant la campagne pour les municipales, les équipes « sortantes » qui se représentent mettent en premier dans leur bilan de mandat ce qu’ils ont pu faire en matière d’aménagement, et d’aménagement d’espaces verts en particulier. On voit par exemple au niveau de la ville de Lyon que les deux éléments importants qui ressortent sont l’aménagement des berges du Rhône au niveau de la ville et les aménagements du Parc de la Tête d’Or. En matière de transport, les villes qui ont été amenées à faire des aménagements de tramways par exemple mettent en évidence que ces lignes ont été des occasions de végétaliser par des plantations d’arbres et de la pelouse sur les bandes roulantes.

En France, quelles sont les agglomérations les plus actives en la matière ?

Elles en ont toutes fait, que ce soit Paris, Strasbourg, Nantes, Rennes, Lyon, les grandes villes mais aussi les petites villes… Elles ont toutes fait d’énormes efforts en la matière. Mais nous espérons que notre action quotidienne et la communication de tous les entrepreneurs du paysage mais aussi des pouvoirs publics permettront que de nouveaux projets voient le jour et que les aménagements réalisés prennent de plus en plus compte l’attente des Français.

Récemment vous avez dit « Il faut remettre le végétal au c?ur de la ville ! ».

C’est très important puisque ces 20 dernières années la tendance était que les aménagements, en particulier de places publiques, étaient très minéraux. On a vu des aménagements entiers de places publiques sans un arbre, sans verdure. Les citoyens s’en plaignent. Quand nous disons « il faut remettre le végétal au c?ur de la ville », nous souhaitons que les arbres, les plantes soient au c?ur des aménagements.

En fait, il faut re-sensibiliser les architectes paysagers, qui eux en sont conscients, mais surtout les élus, qui passent commande. Les grandes places avec de beaux « monuments » en marbre, des dalles piétonnes, des bancs, ne seront valorisés que par des écrins de verdure. De plus, les aménagements réalisés avec des matériaux, des pierres, des goudrons ne s’inscrivent pas dans un développement durable. Tous ces matériaux viennent souvent de loin, ils sont issus de l’industrie pétrolière, ils nécessitent des moyens de transport lourds. Alors qu’il y a tous les végétaux dans nos pépinières françaises.

On parle des toitures et des murs végétalisés. Constituent-ils une solution au manque d’espaces verts ?

Ce n’est pas une solution au manque d’espaces verts. Il faut distinguer deux choses. Le mur végétalisé peut effectivement être considéré comme un élément qui va contribuer au verdissement de la ville. Nous rêvons tous de couvrir de végétaux les parkings et autres hangars dont la valeur esthétique est majoritairement remise en cause.

La toiture végétalisée, en revanche, ne contribue pas vraiment à combler le manque d’espaces verts. Elle est souvent peu visible de la rue. Il serait certes plus agréable en ville d’avoir vue sur un toit végétalisé que vue sur un toit en goudron ! Mais, la valeur des toitures végétalisées se situe dans le fait qu’elles absorbent ou en tout cas limitent les écoulement massifs d’eau de pluie, participent au rafraîchissement de la ville, filtrent les poussières et consomment une partie du CO2 émis par les véhicules. De la même manière, le mur végétalisé, à condition qu’il soit bien réalisé techniquement, est un capteur de carbone. Mais de là à dire qu’il dépollue, il ne faut pas exagérer non plus !

L’idée dans tout cela, c’est qu’en apportant du vert dans tous les domaines, on va participer à la lutte contre le réchauffement de la planète puisque l’on sait que dans une rue dans laquelle il y a de la verdure par rapport à la même rue sans verdure, il peut y avoir une différence de température comprise entre 1 et 2°C en été.

Selon vous, les élus accordent-ils une place suffisante aux espaces verts ?

Dans les projets d’aménagements d’espaces verts, on peut reprocher aujourd’hui aux urbanistes de ne pas assez préserver la biodiversité. On voit partout les mêmes arbres, pas toujours adaptés au terrain, ne produisant pas l’ombre qu’on en attend, ne permettant pas aux autres espèces de se développer, aux animaux d’y vivre. Mais le principal problème est que les budgets qui sont consacrés à l’entretien et à l’aménagement des espaces verts sont aujourd’hui très faibles.

En matière d’urbanisation, comme il est difficile de faire en sorte que les décisions soient prises « naturellement », il faut qu’il y ait des lois qui imposent un certain pourcentage d’espaces verts dans toute nouvelle construction ou programme immobilier, que ce soit pour la réalisation de zones d’habitation ou de zones d’activité commerciales et industrielles.

Il y a également un véritable problème dans les marchés publics. Les élus ne peuvent pas donner une préférence géographique. C’est une aberration en matière de développement durable puisque nous devrions pouvoir tenir compte du transport qui devra être effectué pour réaliser une commande et réaliser un bilan environnemental satisfaisant.

De telles lois existent-elles à l’étranger ?

A l’étranger, on constate que la réflexion sur l’aménagement des espaces verts vient un peu plus naturellement, notamment en Allemagne ou aux Pays Bas où la démarche écologique est rentrée dans les m?urs. Le problème de la France, c’est que tant qu’il n’y a pas de lois pour imposer, les initiatives restent peu nombreuses.

Pour nos voisins européens, l’existence d’espaces verts au sein de la ville est-elle importante ?

Ce n’est pas un problème de volonté publique actuelle, c’est un problème de conception de la ville et de culture. Si nous prenons par exemple la ville de Londres avec ses grands parcs, c’est une conception qui date de plusieurs siècles et qui a été préservée. Paris n’a pas été conçu comme Londres, Lyon n’a pas été conçu comme Amsterdam… En fait, la richesse culturelle, l’histoire des villes françaises, fait qu’aujourd’hui il faut trouver de nouvelles idées pour végétaliser, se réattribuer les espaces en friche, mettre à contribution les démolitions pour se faire une nouvelle idée de la ville.

Par exemple, nous avons la chance en France d’avoir beaucoup de villes qui sont traversées par des fleuves. Il faut redonner un peu d’espace autour des axes forts que sont les quais ou les entrées des villes pour créer des zones vertes.

Quels sont les bons exemples à suivre à l’étranger ?

Il y en a plein. En matière de conception, les Australiens par exemple sont en avance sur le type de jardins et le type d’équipements qui doivent être fait dans les jardins et les lieux publics. En Allemagne, la plupart des établissements publics, les écoles sont très riches en espaces verts, les locaux techniques municipaux à toits plats sont végétalisés…

En France, nous pensons essentiellement à faire des jeux d’enfants quand nous faisons un square. C’est très bien. Mais avec le vieillissement de la population, en Australie depuis une dizaine d’années ils ont déjà conçu des parcs en mettant du mobilier destiné aux seniors pour qu’ils puissent continuer à faire de l’exercice.

Les Etats-Unis sont souvent critiqués en matière d’écologie et d’environnement. Font-ils plus d’efforts que les Français en matière d’espaces verts ?

Nous ne pouvons pas comparer la dimension des Etats-Unis avec la dimension de la France. La plupart des villes américaines n’ont pas de c?ur historique. Mais une ville comme Washington donne une part incroyable aux espaces verts : même le toit de sa mairie est végétalisé.

Un objectif pour les prochaines années ?

Quand nous disons « il faut remettre le végétal au c?ur de la ville ! », pour nous, l’élément essentiel est l’arbre. Il faut redynamiser les plantations d’arbres en ville. En matière de rendement d’absorption de carbone, l’arbre est quand même en rapport qualité/prix largement efficace. De plus, l’arbre est un élément très symbolique.

Nous avons vraiment une volonté de faire avancer ce projet qui pourrait devenir une loi, à savoir qu’en milieu urbain il faut qu’il y ait un arbre par habitant. Il faut se rappeler qu’un hêtre centenaire avec de grandes dimensions est capable d’absorber le carbone produit par 800 appartements. Il faut ramener les choses à leur juste valeur.

Planter des arbres, c’est l’élément essentiel. Il faut redonner à l’arbre sa place en ville tel qu’il le mérite, en favorisant la biodiversité, donc en choisissant des espèces et des essences qui correspondent à chaque projet. Toute la filière peut y participer. Les concepteurs paysagistes savent quels arbres il faut planter, les pépiniéristes ont tous les arbres qu’il faut planter et les entreprises du paysage sont là pour les planter et les entretenir.

> Pour en savoir + : Le site des entrepreneurs du paysage

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