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Fukushima : « il faut s’attendre à une hausse importante des pathologies cancéreuses »

Bruno Chareyron et Wataru IwataBruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire. Deux ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima Daiichi, le responsable du laboratoire indépendant de la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) fait le point sur la radioactivité au Japon, et ses conséquences sur la population, avec la participation de son partenaire japonais Wataru Iwata.

Deux ans après la catastrophe de Fukushima, quelle est la situation sur place ?

La contamination est toujours importante au niveau du sol. Le césium 137 qui a été déposé principalement au mois de mars 2011 sera radioactif pendant encore longtemps. Sa radioactivité ne sera en effet réduite de moitié que dans 30 ans. Ce césium émet des rayonnements gamma très puissants qui peuvent travers les portes, les fenêtres et les murs des habitations.

Au moment où nous parlons, des centaines de milliers de personnes dans la préfecture de Fukushima, mais pas seulement, subissent des doses de radiation nettement supérieures à celles qui sont normalement considérées comme tolérables.

Cette radiation se situe à quel niveau ?

La dose maximale, au-delà laquelle les risques sont considérés trop importants est en principe de 1 milliSievert / an. Or, les autorités japonaises ont fixé une norme vingt fois plus forte de 20 mSv / an. Concrètement, en deçà de cette dose, les japonais qui vivent dans des zones contaminées ne sont pas évacués.

Combien de japonais sont exposés quotidiennement à une radioactivité potentiellement dangereuse ?

Des millions de personnes subissent quotidiennement au Japon, une irradiation supérieure à la normale. Et des centaines de milliers de japonais sont encore victimes d’une irradiation considérée en principe comme inacceptable. Après cela dépend de la vie quotidienne de chaque japonais : combien de temps la personne passe à l’extérieur, devant son habitation et dans son habitation, etc.

Dispose-t-on déjà et disposera-t-on à l’avenir de données fiables sur l’impact sanitaire de cette catastrophe au Japon, comme dans le monde ?

On peut être extrêmement inquiet sur cette question. Le rapport de l’OMS sur l’évaluation des doses est à ce titre très critiquable. La méthode de calcul des doses de radiation ne prend pas en compte une série de voies d’exposition de radiation comme la radioactivité liée au xénon, pourtant très présente lors des premiers jours. De même, l’OMS n’évalue pas correctement les doses de radiation liées à l’ingestion, en oubliant d’intégrer les aliments les plus contaminés.

La tendance générale est à minimiser l’exposition radioactive réelle de la population. Il faut arriver à ce que la population dispose de données fiables sur cette radiation, subie dans les premiers semaines et ensuite quotidiennement depuis cet accident. Certains habitants de la préfecture de Fukushima et d’autres préfectures, ont été exposés à des doses inacceptables qui auraient pu être minimisées si des mesures adaptées avaient été prises rapidement.

La décision d’évacuation sur seulement 20 km autour de la centrale était évidemment nettement insuffisante. La thyroïde de centaines de milliers de japonais a été exposée à de fortes doses radioactives, alors que cette exposition aurait pu être fortement abaissée en leur distribuant simplement des pastilles d’iode, ce qui n’a pas été fait. Ces lacunes ont été criminelles car ces personnes souffriront à l’avenir de multiples pathologies.

Et le pire, c’est que le Japon continue à laisser ces personnes vivre dans des zones encore très contaminées. Les mesures que nous avons réalisées au Japon en 2012 sur une maison individuelle soi-disant décontaminée, prouvent que la décontamination est impossible. Malgré 3 mois de décontamination intense, les décontaminateurs ayant lavé chaque caillou au carsher et coupé les branches des arbres de la colline d’en face, la radioactivité était 2 à 6 fois supérieure à la norme admissible.

Radioactivité Ecole Moriai (Chareyron Courbon Iwata)Comprenez-vous que les autorités japonaises autorisent progressivement des milliers de japonais à se réinstaller dans leurs habitations situées dans des zones en principe contaminées ?

C’est très inquiétant. Autoriser des gens qui ont déjà subi des doses très importantes à revenir vivre sur des territoires encore très contaminés est inacceptable. Ces personnes vont continuer à être irradiés à l’extérieur comme à l’intérieur de leurs habitations.

Il faudra combien de temps pour cette décontamination se fasse naturellement dans ces zones encore polluées ?

Plusieurs décennies.

Quelles conséquences sanitaires sont à redouter pour ces centaines de milliers de japonais exposés ?

Compte tenu des doses qu’ont subies ces personnes, et notamment beaucoup de jeunes japonais, on peut s’attendre dans les prochaines années, à enregistrer une hausse importante de nombreuses pathologies cancéreuses (thyroïde, leucémies, etc.) et non cancéreuses, car ces radiations perturbent l’ensemble de l’organisme, dans le système digestif, nerveux ou encore cardio-vasculaire. Et ces radiations occasionnent également des problèmes génétiques, comme on l’a déjà constaté sur certains groupes de mammifères vivant autour de Tchernobyl, victimes d’une instabilité génomique.

Il faut que ces populations puissent disposer de l’aide financière pour refaire leur vie ailleurs. Si une loi a été votée en ce sens au Japon, il manque encore les décrets d’application qui permettraient aux Japonais qui le souhaitent, de s’éloigner de ces zones encore contaminées.

Pour en savoir + 

Au Japon, une loi a été votée le 21 juin 2012 créant en principe un droit à l’évacuation, grâce à la pression des citoyens japonais. Malgré tout, 9 mois après le vote de cette loi, les zones concernées ne sont pas encore délimitées, et les doses maximales de radiation pas encore fixées. Plus de 70 municipalités japonaises réclament la mise en application rapide de cette loi.

Vidéos de la mission de la Criirad et du CRMS au Japon

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