Marée noire : « Le risque zéro n’existe pas »

François Kalaydjian, Directeur de la Direction Développement durable à l’Institut français du pétrole, l’ingénieur civil des Mines et docteur en physique s’exprime sur l’accident de DeepWater Horizon, sur la responsabilité de BP, sur la marée noire dans le Golfe du Mexique et ses conséquences sur le forage offshore profond.

Selon les informations dont vous disposez, l’explosion de la plate-forme Deepwater Horizon à l’origine de la marée noire dans le golfe du Mexique était-elle évitable ?

C’est ce que disent certaines compagnies pétrolières comme Chevron par exemple. Mais, je pense qu’avant de se prononcer, il faudrait disposer de toutes les informations techniques ce qui n’est pas forcement le cas aujourd’hui. Quelques éléments qui proviennent du Sénat américain, montrent que certaines procédures n’ont pas été suivies de façon standard.

Par ailleurs, ce puits était délicat, le forage était compliqué, 40 jours de retard ont été enregistrés en raison de conditions particulières. On se situe à 1500 mètres d’eau, 4500 mètres de terre. Il y a également des indices de gaz qui ont nécessité des compulsions et une architecture de puits un peu complexe. Tout cela fait que le contexte était compliqué.

Cette complexité est-elle la seule responsable de cet accident ?

Si cela avait été un cas standard, on aurait pu répondre à cette question mais là, c’est difficile. Par ailleurs, vient se greffer également le jeu des acteurs eux-mêmes. Plusieurs acteurs entrent en ligne de compte : la compagnie, le sous-traitant, le propriétaire de la plate-forme, le fournisseur de l’élément BOP qui est l’ensemble des vannes qui doivent se fermer automatiquement en cas d’éruption?. La situation géologique, le forage et les acteurs industriels ont participé cette complexité.

Il faut toutefois vérifier que les procédures existantes ont bien été suivies. Si on se réfère à ce que dit le Sénat américain, il existe des éléments qui tendent à montrer que les procédures n’ont pas été suivies de façon classique. Entre également en jeu l’administration américaine qui a délivré les permis et les autorisations.

La situation était donc complexe à plusieurs niveaux. Mais il y a certainement besoin de repositionner les choses du point de vue de la sécurité dans l’offshore profond, et mettre encore plus l’accent sur les éléments indispensables pour pouvoir opérer dans ces horizons là.

Une telle catastrophe peut-elle remettre en cause l’offshore profond ?

Je ne le pense pas et je ne le souhaite pas. L’offshore au total représente une part très importante de la production pétrolière puisque 30% de la production mondiale est produit offshore. Le côté profond ne facilite pas les choses, surtout d’un point de vue technique. Mais dans ce cas précis, le problème n’est pas lié à l’offshore profond, il a juste compliqué les choses.

Pour moi cet accident regrettable a commencé avec les 11 morts qu’il y a eu. Il faut bien évidemment améliorer la sécurité mais on a besoin de l’offshore profond, parce que la production pétrolière dépend beaucoup de ces horizons là. Il y a aujourd’hui 17.000 plates-formes pétrolières qui fonctionnent dont 3.500 dans le golfe du Mexique. Il faut relativiser les choses même si c’est sûr que la pollution qui résulte de l’accident n’a sans doute pas d’équivalent.

Existe-t-il un risque qu’un tel incident intervienne en Europe, en mer du Nord ?

Tout d’abord, on ne se situe pas dans les mêmes profondeurs en Europe. D’autre part, ce ne sont pas les mêmes règles de sécurité qui s’appliquent. Les règles de sécurité sont différentes selon les régions et en Europe elles sont plus drastiques qu’aux Etats-Unis.

Par ailleurs si l’offshore est important aux Etats-Unis, il n’apporte qu’une partie de la production américaine. Or, pour l’Europe, c’est essentiel, et les compagnies se sont organisées pour assurer cette production, et ont relevé des défis technologiques depuis le début de la production en mer du Nord.

Maintenant, on ne peut pas dire que cela ne se produira jamais, le risque zéro n’existe pas. Mais, je pense que l’industrie pétrolière offshore européenne va également revisiter ses pratiques pour s’assurer que tous les éléments de sécurité sont bien là.

Un moratoire américain sur la production offshore comme le souhaite Barack Obama peut-il avoir une incidence sur le cours du pétrole ?

Cela va retarder certaines explorations. Aujourd’hui, cet incident n’a aucun effet, mais un moratoire pourrait retarder certaines explorations futures et déjà on voit que l’anticipation du prix du baril est à la hausse mais dans le futur. Les investissements d’aujourd’hui sont la production dix ans après et d’autres éléments pourront intervenir d’ici là.

Que pensez-vous des efforts déployés par BP pour contenir la pollution ?

BP a tâtonné et ce qui leur est reproché. Ils ont d’abord mal communiqué en minimisant les choses et Hayward l’a bien compris. Ils ont ensuite réalisé des diagnostics que ne sont pas en ligne avec la réalité. Ils évoquaient 1.000 barils par jour, or aujourd’hui on parle plus de 20.000, 30.000, 40.000. Leur communication n’a donc pas été optimale.

D’un autre côté, il faut bien avoir en tête que l’offshore profond ne facilite pas les choses. L’intervention humaine est impossible. La seule intervention qui coupera complètement la fuite est le forage de puits déviés qui viendront intercepter le puits éruptif actuel et qui permettront de positionner un bouchon de ciment qui isolera le réservoir à l’origine de la fuite. Deux puits sont en cours de forage et ils viendront intercepter la fuite courant août.

Pourquoi BP met-il autant de temps à maîtriser cette fuite ?

Entre temps, BP a essayé différentes solutions, un peu dans le désordre avec des dispersants, pour certains assez nocifs, avec une empreinte environnementale importante. Ils ont également essayé d’enflammer les nappes, ce qui n’était pas forcément une bonne idée puisque, car ce sont les parties légères du pétrole qui brûlent, et il reste alors les parties lourdes qui sont les plus polluantes. Par la suite, il y a eu tous les épisodes de pose d’un entonnoir. Le premier a eu des soucis avec la formation de glaces d’hydrate de méthane, ce qui était prévisible à ces profondeurs là.

Après ils ont tenté d’injecter de la boue pour colmater la fuite mais cette dernière était trop importante pour que cela fonctionne. Il y a eu enfin des tentatives pour collecter le pétrole fuyant du puits en coupant le riser juste au niveau des  vannes du BOP, en le coupant proprement, et en venant  y fixer un petit entonnoir connecté à la surface par un tuyau, permettant la collecte de près d’une vingtaine de milliers de barils par jour. Mais le puits est toujours éruptif donc cette solution n’est que provisoire.

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