Forêts françaises : la grande migration

forêts migrer ou mourir

Face aux dangers que fait peser le changement climatique sur le renouvellement des forêts françaises, les forestiers misent sur la migration assistée d’essences mieux adaptées aux climats chauds et secs. Explications. 

Fin février, le Giec a rendu public le deuxième volume de son sixième rapport d’évaluation sur le climat. Sans surprise, tous les voyants sont au rouge. La hausse des températures apparaît comme inéluctable et, même contenue à 1,5°C, ses conséquences sur la planète seront désastreuses. A l’heure actuelle, sécheresses, inondations et canicules ont déjà dépassé le seuil de tolérance du monde du vivant.

Une filière indispensable menacée

En France, les effets du changement climatique sont d’ores et déjà bien visibles en forêt : citons les risques d’incendie accrus, le stress hydrique dû au manque d’eau, ainsi que des crises sanitaires récurrentes. « Le radoucissement des températures hivernales supprime une forme de régulation naturelle de nombreux insectes ou de parasites des arbres, auxquels les périodes de gel étaient autrefois fatales et qui prolifèrent désormais », détaille un avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) du 24 mars 2021. Exemple dans les massifs de l’Est de la France par exemple, où les attaques de scolytes sur les épicéas sont légion. Sans compter les trois années de sécheresse estivale que la région a connues et qui n’arrangent pas les choses. 

L’enjeu est de taille, car c’est bien toute la filière forêt-bois qui est menacée. Un état de fait d’autant plus préoccupant que celle-ci « permet de compenser environ 20 % des émissions françaises de CO2. Elle joue ainsi un rôle majeur en matière d’atténuation du changement climatique. Pour autant, ce rôle repose sur la résilience des forêts, et notamment leur capacité à s’adapter à ce changement climatique », rappelle le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. 

Les forestiers à la manœuvre

Sur le terrain, les forestiers constatent tous les jours les dommages causés par le réchauffement climatique. Mués en lanceur d’alerte, ils mènent un important travail de sensibilisation auprès des élus et de la presse. Dès 2018, le syndicat Fransylva Franche-Comté et son président, Christian Bulle, ont ainsi multiplié les actions auprès de la presse locale, afin d’expliquer de manière simple et efficace les ravages causés par les scolytes sur les épicéas de cette région particulièrement touchée. « Au printemps, ils sortent de leur hibernation, s’envolent et partent coloniser les épicéas. C’est maintenant, au tout début de leur sortie d’hibernation qu’il faut agir pour endiguer leur prolifération, il ne faut pas attendre », prévenait Christian Bulle. 

Mais prévenir sans guérir ne suffit pas. Et en première ligne, ce sont, une fois de plus, les forestiers qui travaillent à préserver au mieux les forêts touchées. Un reportage de Libération, publié début mars 2022, mettait en évidence leur action en forêt domaniale de Jugny, en Côte d’or, où trois années de sécheresse ont profondément affaibli les hêtres et les épicéas, à la merci des scolytes, encore eux. 

Le pire est à venir

Bien que volontaires, les forestiers n’en demeurent pas moins lucides. Les modèles climatiques projetés à 2070 révèlent que la tendance n’est pas prête de s’inverser. « On ne peut pas se contenter de serrer les dents en se disant que ça va s’arranger : on sait qu’il y aura d’autres séries d’années sèches, de plus en plus souvent » expliquait à Libération, Lilan Duband, ingénieur forestier. Face à ce changement toujours plus rapide, les forestiers, Office national des forêts (ONF) en tête, veulent aller au-delà des seuls soins palliatifs et s’attachent à penser la forêt sur le long terme.

L’ONF renforce ainsi son arsenal en misant sur la « migration assistée ». Elle consiste à favoriser l’installation d’essences mieux adaptées aux climats chauds et secs et à accompagner ainsi les changements climatiques. 

Les essences sudistes, comme les cèdres de l’Atlas, les chênes pubescents et les pins maritimes et les sapins méditerranéens, composeront ainsi les futurs paysages forestiers situés plus au nord. A noter qu’il ne s’agit pas de remplacer des essences, mais plutôt de les mélanger sur les parcelles de plus de deux hectares (ha). Là où c’est encore possible, l’ONF continuera de miser sur la régénération naturelle. 

Les forêts privées aussi

Les initiatives se multiplient et n’émanent pas uniquement de l’ONF. Les propriétaires privés s’engagent également dans une démarche de recherche et développement avec leurs gestionnaires. 

A Sainte-Fauste dans l’Indre (36) par exemple, la coopérative de propriétaires privés Unisylva a planté des chênes sessiles en provenance du sud sur une surface de 4 ha, afin de tester leur adaptation au changement climatique. Plus au sud, dans l’Aveyron, la coopérative Sylva Bois a reboisé une parcelle de Douglas de 4,8 ha avec du pin laricio originaire de Corse.

« Grâce à l’analyse climatique des stations forestières et au travail préparatoire des coopératives, les forêts reboisées devraient désormais mieux résister aux aléas climatiques intégrant la considération d’une température augmentée de +2°C », explique l’Union de la coopération forestière française (UCFF).  

Accélérer un phénomène naturel au ralenti

Si ce phénomène de migration existe à l’état naturel, celui-ci est trop lent par rapport à la vitesse du réchauffement ; il doit donc être accéléré. « On parle de migration assistée car ce sont des mécanismes naturels, les arbres migrent par le pollen et les graines, explique à Novethic, Brigitte Musch, responsable du conservatoire génétique des arbres forestiers au département recherche & développement de l’ONF et coordonnatrice du projet. Elle ajoute que « la vitesse à laquelle ces espèces recolonisent est dix fois inférieure à celle de la vitesse du changement climatique ». En assistant la forêt, « on ne fait que mimer la nature, mais on l’aide à faire un grand saut dans l’espace ».

D’autant que la migration n’est pas aidée par la configuration même du territoire français, fractionné par les villes, les champs et les infrastructures linéaires. « Ce qui pose un problème de continuité écologique et participe à la lenteur de la migration des espèces », détaille Alexis Ducousso, ingénieur de recherche au département biodiversité, gènes et communautés à Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement Nouvelle-Aquitaine. A quoi s’ajoute la régression des disperseurs de pollen et de graines. Les forestiers n’ont plus le choix et devront agir de plus en plus vite s’ils veulent enrayer le processus. La démarche, elle, sera portée entre autres par le Plan de relance en place depuis 2020 et récemment abondée de 78 M€ pour l’année 2022 ; lequel a acté le reboisement de 45 000 hectares de forêt en deux ans, afin de capter 150 000 tonnes de CO2

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