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Nouveau pacte agricole : au-delà des clichés, comment aider l’environnement ?

Face à l’urgence climatique et environnementale, un nouveau pacte agricole doit être fondé. Mais s’il veut être efficace, ce dernier se doit d’être pragmatique et de donner toute sa place au progrès scientifique afin d’assurer la sécurité alimentaire des 7,5 milliards d’habitants de notre planète.

Nourrir 11 milliards de personnes

Il y a un siècle, la population européenne était majoritairement rurale. Aujourd’hui, elle est à 72 % urbaine. Une véritable révolution qui a touché tous les aspects de la société… et qui est à l’origine d’une méconnaissance du monde agricole par le grand public.

Cette méconnaissance se double d’une vision focalisée sur les problèmes relayés par les médias (suicides, glyphosate, pollution des sols, maltraitance animale…), accompagnés de mots-chocs dont la signification échappe, aussi, au quidam : permaculture, agriculture biologique, production naturelle…

Néanmoins, loin des slogans politiques et des fausses bonnes idées, la réalité de l’agriculture du 21e siècle est complexe. D’ici 2100, les agriculteurs devront nourrir 11 milliards d’habitants. Dans la mesure où une augmentation en conséquence de la surface terres agricoles n’est ni possible, ni souhaitable — celle-ci étant le principal facteur de perte de biodiversité et d’augmentation des gaz à effet de serre — il n’y a pas d’autre option que d’augmenter l’efficacité des rendements. Produire plus… avec moins.

Or, comme le démontre un rapport du Parlement européen de mars 2019, une telle augmentation est impossible sans l’utilisation de pesticides (c’est-à-dire herbicides, fongicides et insecticides) : leur absence se traduirait par 10 à 50 % de baisse des rendements des cultures. De quoi faire bondir une opinion publique mal informée, pour qui le terme rime avec dangerosité pour la santé, la biodiversité et l’environnement. On peut difficilement, pourtant, taxer le Parlement européen de clientélisme : c’est bien cette institution qui, de son propre chef, a décidé de mener une grande enquête sur les lobbies agroalimentaires en plein renouvellement du controversé glyphosate.

Respecter la science, investir dans l’innovation 

Cette conclusion du Parlement européen est pourtant restée inaudible. Pire, quelques mois plus tard, une tribune dans le Monde appelait à l’arrêt pur et simple des pesticides. Un appel pour le moins irresponsable, au vu des enjeux. Pire, cette injonction contribue à alimenter un clivage entre grand public et monde agricole.

Il y a pourtant urgence à réconcilier ces deux mondes qui se regardent en chien de faïence.

Un rapprochement qui passera tout d’abord par un regain de confiance envers la puissance publique et les agences de contrôle, trop souvent accusées d’être influencées par des lobbies, celui des industries bio ou de l’industrie chimique). Pour ce faire, Dominique Potier, député socialiste, affirme qu’il « faut aller vers un renforcement des agences, garantir leurs autonomies par des moyens financiers par des comités d’éthique et scientifique qui soient respectés, avec une harmonisation européenne pour éviter un brouillage des messages ».

Cette caution scientifique renforcée étant établie, la solution passera par l’innovation, « une ressource pour atteindre la sécurité alimentaire, mais aussi d’autres dimensions comme l’amélioration de la biodiversité et lutte contre réchauffement climatique » selon Christian Huyghe, directeur scientifique de l’INRA, institut récemment à l’origine d’une publication sur l’importance de l’agriculture de précision.

Celle-ci mobilise les nouvelles technologies (capteurs, drones, robots, agriculture connectée, etc.) afin d’accompagner les agriculteurs dans le pilotage de leur exploitation. En réduisant l’utilisation des intrants (engrais et pesticides) l’agriculture de précision enrichie par le numérique est un concept qui permet de réduire au maximum les nuisances environnementales et l’utilisation des ressources naturelles tout en améliorant la qualité de la production. Il s’agit par exemple d’une parcelle équipée de capteurs étudiant la composition du sol, l’humidité de l’air ou la météo et d’une machine devenue « intelligente » par la géolocalisation par satellite permettant ainsi de faciliter l’application de la bonne dose de produit, au bon endroit et au bon moment.

Pesticides de synthèse, biopesticides, biocontrôle : assurer le rendement… et la biodiversité

L’innovation passera aussi par le recours à de nouveaux types de pesticides, plus respectueux de l’environnement.

Certes, la quantité de produits phytosanitaires utilisés dans l’agriculture a doublé depuis les années 1980. Mais cette action a permis au passage la « révolution verte » qui a multiplié par 2,5 le rendement des cultures dans les pays développés. Elle assure aussi que plusieurs milliards de personnes vivent aujourd’hui sans jamais mourir de faim.

Depuis les années 80, contrairement à ce que prédisent les prophètes de mauvais augure, l’agriculture a effectué des bonds de géants dans le domaine des pesticides. L’utilisation de produits « conventionnels » (c’est-à-dire synthétiques) a diminué au profit des biopesticides : le cuivre et l’huile de Neem, deux intrants qui ne sont pas sans conséquence sur l’environnement en sont les plus connus.

Du côté des phytosanitaires, on voit se développer des pesticides « spécifiques » qui n’impactent que les organismes ciblés (mauvaises herbes, insectes ravageurs) et préservent la biodiversité : couplés à une agriculture de précision, ces derniers pourraient les rendements sans nuire à l’écosystème. Une autre piste envisagée est celle du biocontrôle : il s’agit, ni plus ni moins, d’introduire une espèce pour en lutter contre une autre. Des poules contre des mauvaises herbes, des insectes prédateurs contre des ravageurs. Utiliser des espèces pour en chasser d’autres est une pratique utilisée depuis la nuit des temps. Celle-ci dispose d’un bel engouement de la part d’urbains, convaincus qui y voit une solution totalement naturelle et indolore pour l’environnement. Cette hypothèse, séduisante, ne doit toutefois pas faire oublier que la biodiversité est un fragile équilibre. L’introduction, à la fin du 19e siècle, de la mangouste en Martinique pour combattre le serpent venimeux trigonocéphale a été désastreuse : les petits carnassiers, apparentés au furet, ont ainsi privilégié les œufs d’oiseaux, conduisant à l’éradication complète du perroquet endémique — le Ara Martinicus.

La raison pour laquelle le biocontrôle, pour aussi prometteur qu’il soit, doit encore être renforcé.

L’agriculture de demain passera-t-elle par un mix agricole ?

On le voit, les questions agricoles ne peuvent être résolues d’un coup de baguette magique.

Malgré cela, nombreux sont les idéologues qui militent pour des solutions totales, loin d’être adaptées. Le retrait des produits phytosanitaires, par exemple, ne prend que rarement en compte les conséquences désastreuses d’une industrialisation d’une agriculture « naturelle » : l’agriculture biologique étant en moyenne 25 % moins productive que l’agriculture conventionnelle —, et ceci en autorisant l’usage de biopesticides ! – on assisterait à une diminution drastique de la biodiversité au niveau mondial (plus de terres devant être défrichées) et à une augmentation des prix très problématiques pour les populations à faibles revenus, qui devraient manger moins, moins bien, ou pas du tout… Sur cette question comme sur beaucoup d’autres, il s’agit donc de sortir des postures et du manichéisme afin d’atteindre un compromis essentiel à l’agriculture de demain.

Cette agriculture ne pourra pas, non plus, faire l’impasse sur les OGM. Véritables tabous français, les produits génétiquement modifiés restent toujours marqués par les travaux du professeur Séralini — qui ont pourtant été désavoués par la communauté scientifique. Aussi, la vision de la société française reste enkystée dans une conception qui ne fait pas honneur au développement des nouvelles technologiques. Les OGM pourraient pourtant être des atouts majeurs pour assurer une agriculture sans pesticides (et donc plus respectueuse de l’environnement), via le développement de résistances aux prédateurs. Face à tant d’injonctions contradictoires (lutter contre le réchauffement climatique, préserver la biodiversité, nourrir l’humanité, préserver les sols), nul ne peut prétendre qu’un modèle pourra apporter une réponse commune à toutes ces questions. D’où l’idée d’un mix agricole intégrant toutes ces techniques à même de relever le grand défi de ce siècle – produire plus et de meilleure qualité, avec moins de terres exploitables pour une population croissante, en préservant l’environnement et en assurant des revenus corrects aux agriculteurs.

Ce nouveau pacte entre agriculteurs et citadins nécessite toutefois d’importants investissements qui ne peuvent être réalisés qu’à l’échelon européen, et ce afin de rester compétitif face aux géants d’aujourd’hui et de demain.

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