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L’aluminium chinois, motif d’inquiétude environnementale

Dans le contexte de guerre commerciale que connaît le secteur de l’aluminium, des voix s’élèvent en Europe pour dénoncer la hausse des importations venues de Chine. Parmi les facteurs d’inquiétude : les conséquences sur l’emploi et sur l’environnement de la surproduction chinoise.

L’Europe, cible privilégiée des exportateurs chinois

En décidant au printemps dernier de taxer les importations d’acier et d’aluminium, les Etats-Unis n’ont pas seulement réduit l’accès à leur marché : ils ont aussi accru la pression commerciale sur le Vieux Continent. Car c’est désormais le marché européen qui est la cible privilégiée des fabricants chinois, les plus offensifs du secteur. Sur les onze premiers mois de l’année 2018, les importations européennes de produits d’aluminium à haute valeur ajoutée chinois s’établissaient ainsi à plus de 535 000 tonnes, contre 371 000 pour l’année 2017.

La Chine, c’est aujourd’hui plus de la moitié de l’aluminium produit dans le monde. En quinze ans, dans un contexte d’urbanisation accélérée, le pays a multiplié par cent le nombre de ses usines. Jean Simard, président de l’Association de l’aluminium du Canada, ne dit pas autre chose : « La surcapacité vient du phénomène suivant : la Chine, qui il y a une quinzaine d’années ne produisait très peu d’aluminium, aujourd’hui, produit plus de la moitié de tout l’aluminium de la planète. [Elle est passée] de deux usines à 200 usines en 15 ans. Au Canada, en 100 ans, on a 10 usines. »

En juin 2018, un rapport du secrétariat de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) sur la politique commerciale de la Chine comptait ainsi l’aluminium parmi la dizaine de secteurs actuellement en surproduction, au même titre que le charbon, le papier ou l’acier, par exemple. Une situation suscitant l’inquiétude des observateurs, notamment par les risques qu’elle fait peser sur l’emploi. Ainsi, toujours selon Jean Simard, alors que les Chinois « ne cessent d’ajouter des usines sans fermer celles qui devraient être fermées », cette surcapacité « entraine la fermeture d’usines ailleurs dans le monde. »

Des procédés de fabrication à l’impact désastreux pour l’environnement

Mais ce qui inquiète également, c’est l’impact sur l’environnement de cette surproduction d’aluminium chinois. Car l’industrie chinoise se distingue par un recours massif au charbon : 90% de l’aluminium primaire y est produit en recourant à cette énergie carbonée. Si la Chine peut se vanter d’avoir drastiquement diminué l’intensité énergétique nécessaire à la production d’une tonne d’aluminium, devenant l’un des pays à consommer le moins d’énergie dans la production de ce métal, ces efforts sont largement contrebalancés par son recours quasi exclusif à l’or noir.

Ainsi, une tonne d’aluminium produite en Chine, c’est l’équivalent de 15.4 tonnes de gaz à effet de serre rejetées dans l’atmosphère. Par comparaison, c’est environ huit fois plus que l’aluminium produit au Canada et quatre fois plus que celui produit en Russie, qui tendent à privilégier l’énergie hydroélectrique.

En outre, la politique américaine de sanctions commerciales, frappant par ricochet des acteurs établis, risque de provoquer des effets pervers sur la politique européenne de transition énergétique. Ainsi, la fabrication d’éoliennes nécessite d’importantes quantités d’aluminium, jusqu’à 3 tonnes par pièces, réparties dans les pales ou le mat de ces géants, mais servant aussi de plus en plus souvent à la fabrication des câbles électriques des nacelles de nouvelle génération, en lieu et place du cuivre utilisé jusqu’à présent. Si cette fabrication devait désormais dépendre de l’aluminium chinois, le bilan carbone des parcs éoliens s’en trouverait lourdement impacté.

Même chose pour les voitures électriques, dont le châssis, l’armature ou encore les boitiers de batteries sont fabriqués en aluminium, à quoi s’ajoutent les bornes de recharge et les machines d’assemblage de ces véhicules, elles-aussi en aluminium. D’ici 2028, la quantité d’aluminium nécessaire à la construction d’une voiture électrique devrait s’élever à 250 kilogrammes en moyenne, soit 16 % de son poids total environ.  De quoi donner du… poids aux arguments de ceux qui prétendent que cette transition énergétique est d’abord et avant tout une transition… cosmétique, rejetant, d’un côté, des émissions de CO2 bien supérieures à celles qu’elle évite de l’autre.

Des solutions qui tardent à voir le jour

Les autorités chinoises ont-elles pris conscience de l’impact environnemental de la croissance exceptionnelle qu’a connu le pays au cours des dernières décennies ? Dans le cadre de la COP21, elles se sont en tout cas engagées à réduire leur production de gaz à effet de serre. Pour remédier au problème induit par la production d’aluminium, Pékin a, en outre, déjà pris un certain nombre de mesures : limitation de l’ouverture de fonderies, améliorations technologiques, régulation du marché de l’électricité.

Reste que toutes ces dispositions apparaissent bien maigres au regard de la catastrophe écologique en cours. En se servant toujours du charbon comme source principale d’électricité dans la fabrication d’aluminium, la Chine se rend coupable d’une trahison particulièrement pernicieuse : non contente de contribuer aux bouleversements climatiques en cours, elle le fait en fournissant un métal pourtant réputé durable (l’aluminium, contrairement à l’acier ou cuivre, par exemple, étant recyclable à l’infini) à des industries elles-aussi soucieuses du respect de l’environnement (celles des éoliennes ou des véhicules électriques, entre autres). Ce faisant, en plus de tourner le dos la transition énergétique qu’elle s’était engagée à conduire, elle fait obstacle à celle des pays européens auxquels elle vend son aluminium, en alourdissant l’empreinte carbone de technologies supposément propres.

En 2015, Aluwatch, un groupe de travail consacré aux évolutions du marché, préconisait par la voix de ses experts une nouvelle répartition du mix énergétique chinois, d’autant que le pays possède un fort potentiel en matière d’énergie hydroélectrique. Autre piste, qualifiée par certains d’utopiste : taxer davantage le charbon, qui aujourd’hui ne coûte presque rien aux industriels du pays. Si la Chine s’est d’ores et déjà engagée à appliquer une taxe sur les émissions de CO2 d’un certain nombre de ses industries, d’autres sont pour l’instant exclues de ce dispositif, dont celle de l’aluminium. A défaut de réel volontarisme politique sur le sujet, il y a fort à parier que le bilan carbone de la Chine et, par contagion, de ses clients européens, s’alourdira encore dans les prochaines années.

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