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Reprise des exportations de bauxite indonésienne vers la Chine : une catastrophe écologique pour la Guinée ?

Le 26 juin dernier, un navire affrété dans un port d’Indonésie arrivait à Laizhou, en Chine, avec à son bord quelque 55 000 tonnes de bauxite, débarquées sur place avant qu’il ne reprenne la mer. L’opération, depuis que l’archipel indonésien a accepté, en juin dernier, de reprendre ses exportations d’or rouge vers la Chine, après un embargo de dix-huit mois, est appelée à se renouveler. Ce sont, ainsi, des dizaines de milliers de tonnes de bauxite qui parviendront jusqu’aux côtes chinoises depuis l’Indonésie. Un trafic effréné qui, à quelques milliers de kilomètres de là, en Guinée, pourrait provoquer une catastrophe écologique sans nom d’ici quelques années. Explications.

180 alumineries chinoises à alimenter

Si le commerce de la bauxite connait depuis quelques années des sommets jamais atteints un peu partout dans le monde, c’est bien la Chine qui est le leader incontestable de ce marché. D’ici 2019, la demande chinoise pour ce minerai devrait dépasser la barre des 50 millions de tonnes ; dans le viseur de Pékin : le contrôle du marché mondial d’aluminium, dont la production industrielle dépend de la bauxite, « broyée puis mélangée à de la soude à haute température et sous pression » renseigne l’Institut pour l’histoire de l’aluminium. « La liqueur obtenue, l’aluminate de sodium, est débarrassée de ses impuretés, puis diluée et refroidie, ce qui provoque la précipitation d’oxyde d’aluminium hydraté. Celui-ci est alors calciné pour obtenir l’alumine destinée à la production d’aluminium. »

Alors que la bauxite contient entre 40 et 60 % d’oxyde d’aluminium hydraté, on estime que 4 tonnes de ce minerai sont nécessaires pour obtenir 2 tonnes d’alumine, dont l’électrolyse – processus qui, en chimie, permet la séparation d’éléments notamment – permet de produire 1 tonne d’aluminium. Un rapport qui explique la course folle à laquelle se livrent les industriels, au premier rang desquels les Chinois. L’Empire du Milieu, qui possède 180 alumineries et produit à lui seul 50 % de l’aluminium mondial – soit plus de 33 millions de tonnes par an –, a même fait de la production de ce métal, et donc du commerce de la bauxite, un enjeu stratégique majeur. Plutôt que de réguler les ventes d’aluminium, il inonde au contraire le marché de sa production et maintient les prix du métal très bas, ce qui lui permet de dicter sa loi à des grands pays producteurs comme l’Australie et le Canada.

Le rendement plutôt que l’écologie

L’exploitation de la bauxite se fait, de façon traditionnelle, par le creusement de puits, de mines et de galeries, mais également, parfois, en carrières à ciel ouvert. Lorsque le minerai est extrait du sous-sol, le risque existe que des rejets miniers, porteurs de métaux lourds – et donc extrêmement toxiques –, se retrouvent dans les cours d’eau avoisinants en cas de fortes pluies, par exemple, qui lessivent littéralement le sol des mines. Problème : les pays dans lesquels les compagnies chinoises exploitent la bauxite dépendent en général beaucoup de l’agriculture – pour ne pas dire quasi-exclusivement – et la contamination de l’eau, lorsqu’elle n’atteint pas directement les populations, décime les récoltes avoisinantes.

Et la Chine n’est pas réputée pour prêter une quelconque attention à cette problématique écologique. C’est d’ailleurs le peu de cas que font les industriels chinois de ces questions qui avait poussé la Malaisie à suspendre l’extraction de bauxite, début 2016, pour raisons sanitaires ; après que des rivières avaient été contaminées et l’aquaculture rendue impossible dans certaines parties du pays, le gouvernement malaisien avait en effet instauré un embargo de trois mois. Idem en Indonésie, donc, où les dirigeants craignaient qu’à force de fermer les yeux sur la manière dont est extraite la bauxite, les entreprises chinoises, davantage intéressées par leur rendement, ne provoquent un désastre écologique.

Jusqu’à 80 millions de tonnes de bauxite en 2020

Une succession d’embargos qui a fini par faire le bonheur de la Guinée : avec 25 milliards de tonnes de bauxite dans ses sols, soit le tiers des réserves mondiales connues, le pays de l’ouest africain a rapidement perçu l’énorme potentiel économique que représentait le minerai. En 2015, il a donc signé un contrat de 200 millions de dollars avec la société China Hongqiao Group, pour la livraison de 10 millions de tonnes de bauxite chaque année ; le ministre guinéen des Mines et de la Géologie, Kerfalla Yansané, faisait savoir peu après que la production du minerai allait s’intensifier pour passer à 40 millions de tonnes annuelles d’ici 2024.

C’est, surtout, la Société minière de Boké (SMB), une joint-venture détenue par la compagnie singapourienne Winning Shipping Ltd, principal transporteur de bauxite en Chine, la United Mining Supply et la Shandong Weiqiao, société chinoise leader dans la production d’aluminium, qui a fait passer la Guinée au stade de pays producteur dynamique. Alors qu’elle produisait 12 millions de tonnes de bauxite l’an dernier, elle devrait atteindre les 30 millions de tonnes cette année et même, selon les scénarios les plus « optimistes », les 80 millions de tonnes en 2020. De quoi faire du pays africain le premier producteur mondial ? Rien n’est moins sûr.

Catastrophe écologique en vue ?

La reprise progressive des exportations depuis l’Indonésie rebat totalement les cartes. Bien plus compétitive que la bauxite guinéenne, la bauxite indonésienne – dont l’acheminement coûte moins cher – fait de nouveau le bonheur des industriels chinois, et va sans doute obliger le pays d’Alpha Condé à niveler encore les prix vers le bas, pour rester compétitif, et à brader les permis d’extraction, afin de voir s’implanter d’autres SMB qui exporteraient leur production vers la Chine.

Ce qui, soit dit en passant, serait contraire au souhait du président de la République d’obliger les compagnies qui extraient plus d’une certaine quantité de bauxite à construire une usine d’aluminium sur place, afin que naisse une véritable industrie de transformation en Guinée, à même de créer de la valeur pour la population. C’est le décès d’un habitant de Boké, percuté par un camion qui transportait de la bauxite, en avril dernier, qui avait incité le chef de l’Etat à prendre cette décision. L’exportation du minerai par les entreprises chinoises, puis sa transformation en aluminium en Chine, est de moins en moins bien perçue alors que le chômage frappe lourdement la ville – et le pays. Certains observateurs ne se font guère d’illusions en cas d’arrivée massive de nouvelles entreprises chinoises : celles-ci seront moins intéressées par l’implantation d’usines que par leur rendement – conjoncture oblige.

En fin de compte, le grand perdant, dans les prochaines années, pourrait être l’environnement. Que les groupes déjà implantés sur le sol guinéen produisent plus ou que de nouvelles têtes arrivent rapidement, s’assurer que les moyens d’extraction soient conformes avec les standards écologiques ne sera pas la priorité des autorités guinéennes, ni celle des industriels chinois. Il n’est donc pas impossible que, d’ici quelque temps, une catastrophe écologique ait lieu en Guinée, tout comme ce fut le cas en Malaisie.

 

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