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La crise pétrolière, analyse des mesures d’urgence

Bernard DurandPar Bernard Durand, ancien Directeur de la Division Géologie-Géochimie de l’Institut français du pétrole, puis  de l’École Nationale Supérieure de Géologie de Nancy. Il a également présidé le comité scientifique de l’European Association of Petroleum Geoscientists (EAPG). Il publie « La crise pétrolière » aux éditions EDP Sciences, paru le 17 septembre 2009. Il a également publié en 2007, chez le même éditeur « Énergie et environnement, les risques et les enjeux d’une crise annoncée ».

L’humanité transforme matériellement le monde qui l’entoure en permanence. Mais la thermodynamique nous enseigne que cela lui serait strictement impossible sans disposer de sources d’énergie. La limite supérieure de ses capacités d’action est en fait la quantité d’énergie, appelée énergie primaire, qu’elle est capable de prélever sur la nature à partir de sources diverses. Ces sources sont des stocks d’énergie, les combustibles fossiles et les combustibles nucléaires, ou des flux d’énergie, les énergies renouvelables (EnR), que l’on tire de la végétation (biomasse), de l’eau, du soleil ou du vent. De tout cela, les sociétés industrielles utilisent de très loin la plus grande partie.

De cette précieuse énergie primaire, le pétrole et son cousin le gaz naturel représentent maintenant à eux seuls 60 % ! S’ils venaient brutalement à manquer, les effets sur les sociétés industrielles, dont nous sommes, seraient comparables à ceux qu’avaient dans le passé les famines sévères sur les sociétés agricoles.

Pétrole et gaz ont été traqués dans les moindres recoins de la planète. Ils sont sans doute les ressources naturelles dont nous connaissons le mieux les limites. Les réserves dont nous disposons sont maintenant bien cernées. Cependant il est impossible de les connaître très exactement : tous les gisements existants n’ont pas encore été découverts, l’incertitude sur le volume des réserves des gisements connus est relativement grande, et les progrès technologiques nous permettront de récupérer une part de plus en plus grande des quantités en place dans les gisements.

Mais c’est une erreur profonde, malheureusement fort commune, de vouloir prédire l’avenir uniquement à partir du calcul des réserves. Pour les années qui viennent, les deux paramètres déterminants seront la vitesse à laquelle nous pourrons produire ces réserves, et l’évolution de la demande mondiale en pétrole et en gaz. Or nous savons maintenant qu’à brève échéance, une dizaine d’années tout au plus, la vitesse à laquelle nous pourrons extraire le pétrole du sous-sol va plafonner, puis décroître.

Raisons tout d’abord géologiques

Les raisons en sont tout d’abord géologiques. Il y a en effet près de 50 ans maintenant que les quantités de pétrole contenues dans les gisements que l’on découvre diminuent en année moyenne, par conséquent, la vitesse de remplacement des réserves que nous consommons diminue constamment, et cela d’autant plus que notre consommation n’arrête pas d’augmenter. Elles sont ensuite technologiques. La plupart de la centaine des très grands gisements en exploitation, qui assurent l’essentiel de la production mondiale, ont été découverts il y a longtemps et sont maintenant en voie d’épuisement. Leur production, soit diminue année après année, soit n’est maintenue qu’avec des méthodes coûteuses en énergie qui consomment une part de plus en plus grande du pétrole extrait. Et les nouvelles découvertes se font dans des environnements difficiles, donc avec des technologies gourmandes en énergie. Elles sont enfin économiques, les investissements qu’il faut faire pour augmenter la production devenant pharamineux.

La crise pétrolière - Editions EDP SciencesDe fait, malgré l’énorme augmentation des prix intervenue entre 2003 et mi-2008, augmentation qui aurait dû selon les économistes classiques entraîner un accroissement substantiel de la production, on constate que la production nette de la plupart des grands pays pétroliers n’a pas arrêté de décroître, parfois depuis longtemps. C’est le cas par exemple des Etats-Unis dont la production diminue depuis 1972. La Mer du Nord, principale province pétrolière européenne, est en déclin rapide depuis 2000. Seule l’Arabie Saoudite est actuellement en mesure d’augmenter encore de manière significative sa production.

Côté consommation, on constate son augmentation continuelle, sauf lors des crises politiques qui ont conduit à des augmentations brutales de prix, par exemple lors des chocs pétroliers de 1973 et 1979, ou lors des crises économiques telles que la crise asiatique de1997-1998, et maintenant la crise des subprimes. Les principaux moteurs de cette augmentation sont actuellement la soif de pétrole des pays émergents, Chine et Inde principalement, qui sont pressés d’entrer dans la civilisation de l’automobile, mais aussi celle des pays qui pratiquent la fuite en avant, en premier lieu les Etats-Unis, et celle des grands pays producteurs, qui utilisent de plus en plus le pétrole qu’ils produisent pour leur propre développement.

Une crise pétrolière durable

Les augmentations de prix que nous venons de connaître sont nées de cette confrontation de plus en plus difficile entre production et consommation. Il est dès lors évident que nous entrons dans une crise pétrolière d’un type nouveau, qui, contrairement aux crises précédentes où la politique et l’économie ont joué les rôles principaux, est due pour l’essentiel à des phénomènes physiques sur lesquels nous n’avons que peu de prise. Pour cette raison, elle est aussi durable. Le déclin de la production mondiale est pour bientôt, et l’augmentation de la population mondiale fait que la quantité moyenne disponible par habitant déclinera encore plus vite que la production, et est peut-être même déjà en déclin.

L’utilisation par les pays producteurs d’une partie de plus en plus grande de leur production a pour conséquence que les quantités disponibles sur le marché mondial commenceront à décliner avant les capacités de production. Les pays grands consommateurs de pétrole qui n’ont pas chez eux de réserves importantes vont donc de plus en plus devoir s’affronter sur un marché de plus en plus étroit, dans un contexte de besoins des pays émergents en très forte croissance.

L’Europe des 27, qui n’a que très peu de réserves pétrolières et qui dépend par conséquent presque entièrement du marché mondial, doit réagir très vite à ce qui est dès à présent pour elle une situation d’urgence ! N’ayant que très peu à espérer du côté de l’offre, il lui faut réduire sa consommation de pétrole, de manière à s’adapter aussi vite que possible à l’inévitable rationnement qu’elle va devoir subir dans peu d’années. Il lui faut aussi le faire pour le gaz naturel, car ce dernier suivra le même chemin que le pétrole, pour les mêmes raisons, avec seulement quelques années de retard. Ce n’est malheureusement pas ce qu’on observe, sa consommation continuant encore actuellement à croître.

Les principaux consommateurs de pétrole sont en France les transports, qui dépendent à 98 % des carburants, et le chauffage des bâtiments, qui utilisent beaucoup de fuel. Le chauffage consomme également beaucoup de gaz naturel. La production d’électricité y entraîne également une consommation de plus en plus grande de gaz naturel, mais ce phénomène est surtout sensible dans les autres pays de l’Europe des 27, dont la proportion d’électricité nucléaire dans le bouquet électrique est beaucoup plus faible que dans notre pays.

Le citoyen devant ses responsabilités

Transports et bâtiment sont donc en France les principaux utilisateurs du pétrole et du gaz, et les principaux consommateurs sont en définitive les ménages, bien qu’ils s’en défendent. C’est donc le citoyen-consommateur qui est le plus à même de faire évoluer la situation, dans le bon comme dans le mauvais sens. Il est donc en responsabilité.

En ce qui concerne les transports, la recherche technologique peut aider le consommateur, en lui proposant des substituts variés aux carburants tirés du pétrole (carburants tirés du charbon, biocarburants, électricité?), ainsi que des véhicules moins gourmands. Mais l’analyse des différentes possibilités montre que ce sera très difficile, et trop long pour apporter un soulagement notable au moment où le rationnement commencera à produire de graves effets. C’est pourquoi une démarche volontariste, qui consiste à diminuer sa vitesse moyenne sur ses trajets habituels le nombre de kilomètres parcourus dans l’année, à pratiquer l’écoconduite et à n’acheter dès maintenant que des véhicules légers et peu consommateurs devient de plus en plus nécessaire. S’il en décide ainsi, les constructeurs seront obligés de suivre.

En ce qui concerne le bâtiment, qui consomme en fait presque la moitié de l’énergie consommée en France, donc plus que le transport, les progrès peuvent par contre être importants et rapides. La mesure la plus efficace est de très loin de beaucoup mieux isoler les bâtiments anciens. Il est urgent de s’y mettre, et les professions du bâtiment doivent enfin se décider à s’organiser pour cela.

L’énergie nucléaire, une chance pour la France

Dans ce contexte, l’énergie nucléaire, si décriée par certains, se révèle actuellement être une chance pour les pays qui ont misé sur elle, comme la France, mais aussi la Suède et la Suisse. Elle permettra en effet, grâce aux véhicules électriques ou hybrides rechargeables, de se passer dans une large mesure du pétrole dans les transports, mais aussi du charbon dans la production d’électricité nécessaire à ces véhicules. Car le développement actuel de l’utilisation du charbon pour produire de l’électricité dans de nombreux pays est bien inquiétant pour le climat, mais aussi pour la santé publique. Elle permettra également de se passer de plus en plus du fuel et du gaz pour le chauffage des bâtiments, si toutefois se développent pour le chauffage les pompes à chaleur, de manière à ne pas aboutir à une consommation excessive d’électricité.

Les énergies renouvelables peuvent aussi jouer un rôle significatif, en particulier si l’on arrive à produire assez vite des quantités importantes de biocarburants autrement qu’à partir de cultures vivières, et si l’on arrive à plus utiliser l’énergie solaire pour fournir l’énergie dont ont besoin les bâtiments. Mais les progrès dans ces domaines sont trop lents, pour des raisons technologiques, mais aussi de prix.

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