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L’huile de palme : « c’est ridicule de la diaboliser »

Jean-Michel Lecerf, médecin spécialiste en endocrinologie et maladies métaboliques, chef du service nutrition de l’Institut Pasteur de Lille, membre du comité OCHA, auteur de plusieurs centaines de publications scientifiques et d’une dizaine de livres sur la nutrition dont le dernier publié en 2013 « A chacun son vrai poids » aux Editions Odile Jacob. Le nutritionniste revient sur « l’épidémie » de diabète, la polémique sur l’huile de palme et s’exprime sur les grands enjeux de la nutrition.

Au lendemain de la journée mondiale contre le diabète, les chiffres publiés ont révélé une progression de cette maladie qui toucherait désormais 8,4% de la population. Pourquoi cette maladie progresse-t-elle ?

On n’en connait pas les causes de manière formelle, même si cette maladie suit la progression en parallèle de l’obésité, elle-même en partie liée à la sédentarité, l’inactivité physique et des apports nutritionnels trop importants. Mais à poids identique et alimentation égale, tout le monde ne devient pas diabétique.

Les facteurs génétiques rentrent également en ligne de compte et protègent certains quand ils en prédisposent d’autres à cette maladie. Il existe également des populations prédisposées comme celles du Maghreb, asiatiques, afro-américaines ou celles des iles du Pacifique où dans certaines près de 50% de la population est diabétique.

Même si la cause principale reste l’explosion de la sédentarité dans le monde, il existe certainement également des facteurs environnementaux, comme notamment des modifications très tôt dans la vie in utero par l’exposition à des polluants.

Estimez-vous comme la Fédération internationale du diabète (FID), dans la sixième édition de son Atlas du diabète, que « la bataille pour préserver les populations du diabète et de ses complications invalidantes et dangereuses est en train d’être perdue » ?

Pas du tout. Lorsque des personnes intolérantes au glucose, l’étape du pré-diabète, augmentent leur activité physique et leur équilibre alimentaire, elles diminuent de 50% le risque de développer un diabète. Si les politiques publiques favorisent ces bonnes pratiques, les chiffres baisseront.

Pourquoi le diabète est-il une maladie incurable ?

C’est une maladie qu’on soigne très bien, avec des thérapeutiques médicamenteuses très efficaces, associées à des mesures hygiéno-diététiques. Mais on devrait pouvoir guérir du diabète de type 1 clinique dans quelques dizaines d’années. Pour la forme la plus courante, le diabète de type 2, c’est plus aléatoire.

Plus largement, vous affirmez que la consommation d’huile de palme n’était pas nocive, pouvez-vous nous expliquer pourquoi, alors que tout le monde la critique ?

L’huile de palme n’est pas parfaite. Elle a des qualités et des défauts comme toutes les huiles. Si on en consomme trop, c’est mauvais, comme toutes les huiles. Mais on en consomme peu en France, en moyenne de l’ordre de 3 à 4 grammes par jour, contre 80 g de graisses consommées quotidiennement.

L’huile de palme a une petite place dans notre alimentation, et comporte des qualités techniques peu remplaçables ou plus exactement remplaçables par des alternatives beaucoup moins bonnes et intéressantes. Elle est notamment très résistance à la chaleur et à l’oxydation et a permis de remplacer avantageusement les huiles partiellement hydrogénées aux acides gras trans, et c’est à mettre à son crédit.

Maintenant, l’huile de palme est incorporée dans des aliments dont l’intérêt nutritionnel n’est pas toujours au rendez-vous, et on doit inciter les gens à ne pas manger de trop de biscuits sucrés ou salés et de gâteaux. Mais c’est ridicule de la diaboliser. Consommer trop de beurre, ou trop d’huile de tournesol ou d’olive est également très mauvais.

L’huile de palme n’a pas toutes les qualités non plus. Elle contient notamment pour moitié des acides gras insaturés, ce qui est bien, mais aussi pour autre moitié des acides gras saturés, ce qui est moins bien. Mais elle en contient moins que le beurre, que le beurre de cacao ou que le chocolat.

Plus globalement, quels sont les principaux enjeux de la nutrition aujourd’hui en France et dans le monde ?

En France, l’une des priorités selon moi est de lutter contre la mauvaise nutrition, occasionnée essentiellement par des raisons socio-économiques. Les Français disposant de revenus normaux avec une instruction correcte se nourrissent globalement pas trop mal. L’alimentation des Français s’est améliorée et est aujourd’hui plutôt diversifiée.

Quelles sont les principales victimes d’obésité et de maladies cardio-vasculaires ?

Les populations défavorisées, qui ont cinq fois plus de maladies cardio-vasculaires que la moyenne. L’enjeu est là et pas de faire peur aux Français à longueur de journée, car leur alimentation quotidienne est globalement saine.

L’espérance de vie des Français augmente de 6 mois tous les 2 ans, l’obésité est stabilisée, les maladies cardio-vasculaires sont plutôt à la baisse, tout ne va pas bien mais la situation s’améliore globalement. Il faut sans doute s’occuper davantage des populations à risques, comme notamment des gros mangeurs sédentaires pauvres, plutôt que de culpabiliser le reste de la population.

… et dans le monde ?

Dans le monde, il faut tenter de maintenir des schémas alimentaires plus traditionnels, en privilégiant notamment l’alimentation méditerranéenne, pour enrayer l’épidémie d’obésité qui fait de plus en plus de victimes sur la planète.

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