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Génériques : « des sous-médicaments » qui participent à l’effritement de la réglementation

Marc Girard, mathématicien de formation, et médecin conseil en pharmacovigilance. Auteur de plusieurs livres tout à la fois prophétiques et polémiques sur notre système de santé, Marc Girard livre ici son analyse sur les médicaments génériques et plus globalement sur les dérives du système de santé actuel.

La défiance des Français vis-à-vis des médicaments génériques semble augmenter selon un récent sondage Ifop (ils ne sont plus que 61% à les juger aussi sûrs que les médicaments d’origine contre 71% en 2011). Si beaucoup le regrette, pourquoi semblez-vous vous en réjouir ?

Je ne m’en réjouis pas, je constate simplement que les Français sont moins confiants dans ces médicaments génériques, et je m’indigne de la quasi unanimité des commentaires vis-à-vis de ces génériques. J’étais à la télé cette semaine sur la 5 (émission « C à vous » ? NDLR) où je me suis fait traité pratiquement de suppôt de l’industrie pharmaceutique, c’est ahurissant alors que j’étais justement assis à côté de quelqu’un qui doit sa fortune aux laboratoires.

C’est de la méconnaissance ou de la mauvaise foi ?

A la limite, cela ne devrait pas être à moi de parler des génériques, c’est par définition le job des pharmaciens. Le problème, c’est qu’il existe une telle collusion entre la plupart des intervenants consultés par les médias, les pharmaciens d’officine qui semblent n’y connaître  rien et les médecins qui pensent savoir tout, mais qui n’ont aucune idée de la réglementation pharmaceutique.

Je me sens obligé de descendre dans l’arène pour dire les choses.

Pourquoi êtes-vous quasiment le seul contre tous à tenir ce discours sur les génériques en les qualifiant de « sous-médicaments » ?

Parce qu’il y a un vrai problème de santé publique et que la plupart des personnes interrogées n’y connaissent rien. C’est scandaleux que le directeur de l’Afssaps soit un médecin. Mais personne n’ose le dire.

On n’est finalement pas très nombreux à s’occuper de questions pharmaceutiques. Il y a 3 catégories d’experts : ceux de l’agence du médicament qui ne sont pas prêts à avouer publiquement les magouilles qu’ils constatent mais qui m’en font part, ceux de l’industrie pharmaceutique mais qui ne veulent pas perdre leur boulot, et des consultants comme moi, qui acceptent de prendre des coups, et Dieu sait si j’en ai pris?

En tant que consultant, j’ai perdu toute ma clientèle. Il y a encore 10 ans, je faisais plus de 400 000 euros par an avec l’industrie pharmaceutique, maintenant c’est zéro. J’ai subi de plein fouet la tactique du black listing. Je n’ai rien à cacher. L’évolution de mon chiffre d’affaires a été publiée dans le British Medical Journal.

Vous n’avez plus aucun contrat avec l’industrie pharmaceutique ?

Non, le dernier contrat arrive à son terme en fin d’année.

C’est pourtant la critique que certains comme Patrick Cohen, dans l’émission « C à vous », peuvent vous faire. Ne faites-vous pas le jeu de l’industrie pharmaceutique en dénonçant ainsi les dangers des médicaments génétiques ?

Le problème c’est que les journalistes sont totalement manipulés, alors qu’ils s’imaginent défendre une juste cause. C’est une vaste mystification de faire croire que l’industrie pharmaceutique serait opposée à l’essor des médicaments génériques. Tous les grands laboratoires ont évidemment un département générique. Il s’agit du même mensonge que celui qui laisse croire que les vaccins seraient un poids financier pour les labos, alors que ce sont justement ces mêmes vaccins qui permettent de maintenir leur rentabilité insolente.

Les génériques justifient un mouvement d’effritement de la réglementation pharmaceutique, qui est en principe faite pour protéger la santé publique. C’est exactement le même mouvement qui a existé sous la pression des séropositifs, dans les années 90, lorsqu’on a mis sur le marché des produits qui n’avaient pas subi un développement normal. Cette brèche a permis, sous la pression d’une urgence exagérément médiatisée, de baisser les exigences de développement concernant d’autres médicaments qui n’avaient d’autre urgence que maintenir les insolents profits de l’industrie pharmaceutique.

L’argument qui revient systématiquement dans la bouche des défenseurs des génériques, c’est que le principe est le même, contestez-vous cela ?

Le principe n’est pas le même. Au lieu de répéter ce que tout le monde dit, je renvoie simplement aux textes, en l’occurrence à la directive 2004-27. C’est toute la complexité de la question, c’est le même tout en pouvant être différent. Je constate qu’en date du 14 décembre 2012, même l’ANSM a publié un communiqué admettant ces différences ? en flagrante contradiction avec les propos de son Directeur Général lors de l’émission à laquelle vous faites allusion.

Dans les années 90, c’était le même principe actif. Depuis cette directive rentrée en application en 2005, c’est le même tout en pouvant être un peu différent. C’est du jamais vu en pharmacie, c’est du n’importe quoi. Je connais un éminent expert de l’Afssaps qui a démissionné à cause de cette directive.

Depuis 2005, c’est faux d’affirmer que le principe actif d’un médicament d’origine et d’un générique est le exactement même ?

C’est strictement faux. Les gens qui le disent, mentent ou n’y connaissent rien. C’est le même problème avec l’excipient. Avec des excipients différents dans les génériques, la vitesse de libération du fameux principe actif n’est pas nécessairement la même. On n’a aucune idée de la date de péremption et, à ma connaissance, aucune étude n’existe sur cette question.

L’une des craintes principales des Français vis-à-vis des génériques réside dans l’origine asiatique de ces produits, considérez-vous que cette peur soit fondée ?

Ce problème ne concerne pas que les génériques. Les héparines que l’on trouve partout en pharmacie sont fabriquées par exemple à partir d’intestins de porc transformés en Chine, une production qui doit répondre à des contraintes extrêmement strictes. Or, on sait très bien que la Chine est un Etat voyou en matière de santé publique.

Il existe un marché mondial des intermédiaires de synthèse. On se retrouve confronté à la même hypocrisie que dans l’agroalimentaire, où l’on vend des produits officiellement fabriqués français, mais qui en réalité proviennent des quatre coins de la planète, souvent sans contrôle et en violation de la réglementation.

Dans certains médicaments, il y a par exemple de l’acide chlorhydrique. Il devrait évidemment s’agir d’acide extrêmement purifié. Et bien on retrouve dans certains génériques de l’acide du type qui serve à nettoyer les batteries. De même avec la soude, elle devrait être utilisée extrêmement purifiée. Or, certains génériques contiennent de la soude identique à celle qu’on utilise pour déboucher un évier.

Le débat sur la délocalisation est souvent un faux débat. Bien plus que la simple question de la main d’oeuvre, qui représente parfois une part infime dans les coûts de fabrication, l’enjeu véritable est surtout de pouvoir s’asseoir sur des principes contraignants du contrôle de qualité et faire tout et n’importe quoi.

Les génériques ont-ils provoqué des accidents sanitaires clairement identifiés ?

Il y a justement une histoire avec des héparines trafiquées, qui contenaient un composant qui n’aurait jamais dû s’y trouver. Ces génériques ont provoqué de nombreux morts aux Etats-Unis, mais aucun en France, officiellement. On peut également citer l’affaire de gentamicines, d’anciens antibiotiques qui ont fait plus de 80 morts là encore aux Etats-Unis et toujours aucun, officiellement en France.

Comment expliquez-vous que nos voisins européens utilisent beaucoup plus que nous les médicaments génériques, visiblement sans rencontrer de problèmes particuliers ?

La différence de prix entre les médicaments princeps et les génériques est ridicule en France. A l’étranger cette différence est considérable. Aux USA, un princeps vendu 100 dollars, le générique sera vendu seulement 20 dollars. En France, pour un princeps vendu 100 euros, le générique sera vendu 87 euros.

Au-delà de la simple question des génériques, ce qui est plus inquiétant, c’est qu’on introduit progressivement l’idée que la réglementation pharmaceutique n’est pas si sacrée que cela, sous prétexte de faire baisser les coûts. On nous dit que l’utilisation des génériques nous permet d’économiser 1,3 milliard d’euros. Mais pour économiser cette somme ridicule, il suffirait de ne plus prescrire les deux principales statines (anti-cholestérol) ainsi que les anti-Alzheimer, dont même la HAS admet qu’ils sont inefficaces.

On parle d’économies pour l’assurance maladie alors dans le même temps, on consent des remboursements parfois exorbitants à des médicaments, comme certains anti-cancéreux, dont on se demande vraiment à quoi ils servent. C’est la même chose avec le remboursement scandaleux de médicaments contre la dégénérescence maculaire qui sont pourtant vendus hors de prix. Les gouvernements sont véritablement à la solde des lobbies.

Les patrons des grandes firmes pharmaceutiques ne sont plus aujourd’hui des professionnels de santé mais des financiers. Il faut rappeler que dans les années 60, du moins en France, il fallait être obligatoirement pharmacien pour diriger un laboratoire pharmaceutique.

Plus globalement, malgré l’affaire du Mediator et la réforme lancée par Xavier Bertrand, considérez-vous que les choses évoluent néanmoins dans le bon sens ?

Non seulement, il n’y a rien eu de positif, mais c’est même pire qu’avant. Je pense d’ailleurs avoir été le premier à l’annoncer. Les choses se sont beaucoup dégradées.

Pourquoi dites-vous cela ?

Avant, lorsque l’administration voulait retirer un médicament du marché, cela prenait des années avec des modalités d’appel. Aujourd’hui, il suffit de se présenter devant les médias en affirmant que tel médicament a un rapport bénéfices/risques inacceptable, et tout le monde applaudit. On remplace de cette façon des vieux médicaments pas chers et efficaces, avec un vrai recul de pharmacovigilance, par de nouveaux médicaments hors de prix pour lesquels on n’a aucun recul.

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