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Italie : « C’est peu commun de voir de telles successions de séismes »

Julien Rey, ingénieur-sismologue et chef de projet au BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières). Il commente la série inquiétante de séismes qui vient de frapper l’Italie et évoque les risques dans l’hexagone.

Etes-vous surpris par la succession de séismes qui frappe actuellement l’Italie ?

Après chaque séisme il est normal d’enregistrer des répliques. Mais, ce qui est plus étonnant en ce moment en Italie, c’est que le niveau des répliques est à peu près du même ordre de grandeur que l’évènement principal. Dans ces cas là, on parle plus de crise sismique ou de sismicité en essaim, c’est-à-dire, plusieurs épisodes sismiques de magnitudes à peu près comparables et qui ont lieu sur une même période.

Habituellement, les répliques vont decrescendo. Concrètement, on a une faille qui rompt et qui créé le séisme. Ensuite pour libérer l’énergie qui reste suite à ce séisme, il y a des « réajustements » et c’est ce que l’on appelle les répliques. Après un séisme de l’ordre du premier qui a touché l’Italie, il est logique d’avoir d’autres séismes, de moins en moins importants. Or cela n’a pas été le cas cette fois-ci.

Mais ce n’est pas si étonnant que ça. En effet, dans les Apennins, on rencontre des structures un peu particulières, avec des failles très complexes et très ramifiées en profondeur. Dans ce cas, quand il y a un séisme sur une de ces failles, il se peut que le champ de contraintes soit modifié et qu’il ait déstabilisé la faille qui est juste à côté.

Dans le cas présent, nous ne sommes pas encore très surs du phénomène, il faudra attendre d’étudier les données. On verra alors si c’est une faille juste à côté de la première qui a rompu ou si c’est la continuité de la première faille qui a rompu à nouveau. Pour l’heure, on ne connait que les emplacements des séismes en surface, mais on ne se sait pas exactement comment cela se passe en profondeur.

Dans tous les cas, c’est assez peu commun de voir de telles successions de séismes. Ce qui est un peu étrange, c’est que le deuxième séisme le plus important, celui de mardi à 9h00, a eu lieu à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de celui du 20 mai. Il peut donc s’agir de la prolongation de la première faille ou d’une faille qui se trouvait légèrement en retrait.

Il existe alors de forts risques que cela continue ?

Oui. L’exemple typique, c’est la crise de 1997-1998 qui a eu lieu là encore dans les Apennins, dans les régions d’Ombrie et Marches, en plein centre de l’Italie. Il y a eu deux séismes le 26 septembre 1997 de magnitudes similaires, de 5,6 et 6. Le 9 octobre d’autres séismes du même ordre de grandeur ont été enregistrés et au mois d’avril 1998, soit six mois après, un autre séisme similaire a secoué le pays un peu plus au nord. Et, entre les deux, la zone avait constamment été secouée par de très nombreux séismes.

Tout ça pour dire, qu’on ne peut absolument pas dire si c’est aujourd’hui terminé en Italie. Cela peut effectivement encore continuer.

Ce n’est pas très rassurant pour la population italienne ?

Oui, surtout qu’il semble que la crise se déplace vers le nord-ouest, vers Modène ou Mantoue, et surtout vers une zone où l’on trouve plus d’agglomérations.

Ce n’est pas le premier séisme en Italie, les habitations sont-elles adaptées à cette situation ?

Une réglementation italienne existe et est appliquée mais depuis peu, depuis les années 70. Avant c’était au cas par cas, c’était la fatalité. Après chaque séisme, on reconstruisait, et ce depuis l’époque romaine. Les séismes cassent beaucoup en Italie, et ce, depuis des siècles.

Par ailleurs, la zone touchée cette semaine n’était paradoxalement pas située en zone sismique. Si l’on regarde une carte des aléas sismiques en Italie, la plaine du Pô, en arrière de la chaine Apennine, est une zone où l’on n’attendait pas de mouvements aussi forts.

C’est le gros problème de la sismologie. On ne peut expliquer les choses qu’à posteriori. On ne dispose que de cartes d’aléas, qui donnent des probabilités d’occurrence d’un séisme ou d’un mouvement sismique. On ne peut en revanche pas dire quand aura lieu ce mouvement et de quelle ampleur il sera.

Existe-t-il des risques d’avoir un séisme similaire ailleurs en Europe, et plus particulièrement en France ?

En Europe c’est sur. Dans le cas présent, on atteint des niveaux de magnitude qui sont quand même élevés, autour de 6, qui sont ceux de séismes destructeurs. C’est relativement rare en Europe mais ça arrive,  et c’est déjà arrivé, notamment en Grèce, en Turquie, dans le sud de l’Italie, en Sicile.

Il y a eu des séismes destructeurs en France, mais cela remonte à très longtemps, par exemple en Catalogne au 15ème siècle, ou plus récemment en 1909 à Lambesc en Provence. En France, c’est de l’ordre d’une fois par siècle.

A-t-on des raisons de s’inquiéter dans le Sud de la France, région la plus à risque de l’Hexagone ?

Tout dépend de la lecture des statistiques. Le dernier gros séisme remonte à 1909. Si on considère qu’il survient un séisme par siècle, on peut penser que cela va arriver dans les années à venir? Mais on ne peut rien affirmer, ni savoir où cela interviendra. Si cela se trouve, il tombera dans l’arrière pays niçois où il y a peu de monde, mais il peut aussi bien se situer dans les Pyrénées, sous Lourdes par exemple, où forcément, il fera plus de dégâts.

On ne peut pas corréler la magnitude du séisme aux dégâts qu’il provoque. Tout dépend de l’urbanisation de la zone qu’il frappe. Si l’on regarde le séisme de l’Aquila par exemple, (en Italie, en 2009), l’intensité était similaire que celui du 20 mai, mais il s’est produit tout proche de la ville de l’Aquila qui regroupe 80.000 habitants et cela fait toute la différence. On a alors recensé 300 morts.

Quant à un éventuel tsunami, c’est toujours possible en Méditerranée, mais on n’atteindra jamais l’ampleur de ce qui s’est passé au Japon avec des vagues de 15 mètres de haut.

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