Pourquoi renouveler les forêts aujourd’hui est-il devenu un impératif ?
Renouveler la forêt n’est pas une nouveauté. Elle se renouvelle depuis toujours, souvent avec l’intervention de l’homme. Ce n’est donc pas tant une question de nouveauté qu’une évidence : c’est dans la nature même des choses. La vraie nouveauté, c’est que les modalités de ce renouvellement doivent aujourd’hui être repensées, à la lumière de nouveaux enjeux climatiques, économiques et environnementaux.
Autrefois, les plans de gestion prévoyaient des cycles simples : on plantait une essence résineuse, on éclaircissait pour améliorer, une fois, deux fois, trois fois puis on coupait l’ensemble au bout de 70 à 80 ans. Aujourd’hui, cette logique est en train de sortir du champ des possibles. Le climat devient imprévisible et son évolution est trop rapide pour imaginer que les essences actuelles puissent toutes résister grâce à leur capacité naturelle d’adaptation. Certaines essences traditionnelles ne résisteront pas, et nous ne pouvons plus mettre tous nos œufs dans le même panier. Il faut diversifier les essences, en espérant que certaines tiendront mieux que d’autres, et qu’elles se protègeront mutuellement.
Sur notre commune, la situation est emblématique : 1200 hectares d’épicéas plantés dans les années 1970-1980 arriveront à maturité en même temps dans les années 2040-2050. Le risque est double : soit nous sommes contraints de tout couper à cause d’une attaque massive de scolytes liée au réchauffement et à la sècheresse soit, s’ils résistent, nous devrons tout couper et replanter d’un coup parce que l’ensemble sera arrivé à maturité. Dans les deux cas, c’est intenable.
Nous devons donc anticiper et trouver d’autres perspectives de renouvellement de notre forêt.
Cette problématique se présente différemment selon les territoires. Dans le Cantal, par exemple, certaines zones souffrent d’une pression du gibier telle qu’il devient impossible de renouveler naturellement. Cela veut dire que des peuplements vieillissent sans relève, et risquent un dépérissement général à moyen terme.
Comment avez-vous abordé le renouvellement forestier dans votre commune ?
Ce défi a été anticipé, ponctuellement, dans le cadre de notre dernier plan d’aménagement forestier pour la période 2020-2040. Concrètement, cela s’est traduit par des coupes ciblées, non pas pour des raisons sanitaires, mais pour éviter une homogénéité d’âge trop marquée dans nos peuplements. On a ciblé les zones déjà fragilisées, parfois avec des parcelles ponctuellement plantées en mélèzes. C’était en 2022. Depuis, notre réflexion a évolué. Aujourd’hui, nous prévoyons des replantations diversifiées, avec au moins trois essences, dont une feuillue, mais sans encore arrêter précisément notre choix.
Surtout, j’ai tenu à ce que ces décisions ne soient pas prises uniquement avec l’ONF, mais qu’elles s’ouvrent à un dialogue élargi avec la filière bois et les entreprises utilisatrices. L’enjeu est de construire un projet partagé, durable, et adapté aux réalités économiques et écologiques de notre territoire. Par ailleurs, nous avons des zones où la forêt ne s’est pas développée comme prévu. Sur ces secteurs, nous allons introduire de nouvelles essences, en complément de la régénération naturelle d’épicéas, pour accroître l’hétérogénéité des peuplements — en âge comme en essence. Cela fait partie de notre stratégie d’adaptation progressive.
Et bien sûr, la pression du gibier reste une variable clé. Lors de visites dans d’autres forêts du département avec les Communes forestières, j’ai été frappé par l’ampleur des dégâts. On retrouve encore aujourd’hui des sapins plantés en 1996 qui ne dépassent pas un mètre de haut. Les hêtres, eux, survivent sous forme de buissons. Chez nous, la situation est moins alarmante, mais il est impératif que les populations de gibier ne croissent pas davantage.
Les coupes rases sont très mal perçues par l’opinion publique : comment expliquer cela ?
Je crois que de moins en moins d’acteurs forestiers défendent les coupes rases systématiques. La tendance est à la diversification, que ce soit en âge ou en essence, pour prévenir les risques sanitaires et renforcer la résilience. Nous avons mené une coupe rase en 2022, dans un contexte bien précis, mais je pense sincèrement que l’ONF ne nous proposerait plus ce type d’intervention aujourd’hui. À l’époque, on l’a faite avec une volonté d’adaptation climatique et de gestion à long terme. Mais depuis, les pratiques évoluent. On en parle, on échange, y compris avec des habitants qui s’interrogent à juste titre.
Nous ne sommes pas confrontés à une forte opposition locale, mais le débat existe, et il est légitime. Certaines personnes estiment qu’on ne devrait plus toucher à la forêt, qu’elle devrait être laissée entièrement à elle-même. Mais pour nous, la forêt est une ressource précieuse, renouvelable, à utiliser intelligemment. Cela ne veut pas dire sacrifier la nature à l’économie. Notre objectif est clair : avoir une forêt diversifiée, résiliente, capable de se régénérer aussi naturellement que possible, tout en conservant une fonction productive.
Comment accélérer la dynamique de renouvellement ?
C’est une question essentielle, car si on ne fait rien, la forêt que nous connaissons pourrait ne pas supporter la brutalité du changement climatique. Et dans certaines zones, cela pourrait conduire à des situations catastrophiques. Il y a une vraie prise de conscience dans la forêt privée comme dans la forêt publique, mais les moyens manquent, notamment pour les plus petits propriétaires privés.
Des initiatives existent, comme la réduction de la durée des plans de gestion, qui permet d’intégrer plus facilement les effets du changement climatique. Passer de 20 ans à 5 ans permet d’être plus réactif, mais cela pose aussi des questions de moyens humains et financiers. Car plus de révisions, c’est plus de travail… et nous n’avons pas toujours les équipes pour le faire.
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Pourquoi ne pas planter plus de feuillus, qui semblent mieux résister aux changements climatiques?
Merci Monsieur Bigot pour votre engagement envers la diversité des essences! 🌳