RE 2018 : une mesure contreproductive ?

En France, le bâtiment représente 43% des consommations énergétiques, et près de 25% des émissions de CO2. Aussi, afin de préserver l’environnement, l’Etat multiplie les normes énergétiques sur l’immobilier. Seulement, dans la pratique, certaines normes peuvent s’avérer contreproductives. C’est le cas de la future réglementation environnementale 2018 (RE 2018) qui tend à privilégier le fioul et le gaz au détriment de l’électricité.

Dans un effort global de rationalisation de la consommation énergétique et afin de réduire l’impact humain sur l’environnement, la meilleure énergie est celle que nous ne consommons pas. Un moyen simple d’économiser de l’énergie est d’éviter les gaspillages – en particulier en travaillant à mieux isoler les constructions. Un corpus légal régulièrement mis à jour encadre donc la construction neuve et la rénovation depuis 1974. La réglementation thermique « RT 2012 » en est le parfait exemple. Prévue par le Grenelle de l’environnement, elle avait fixé comme objectif de diviser par 3 la consommation énergétique des constructions en limitant à 50 kW/m²EP/an le chauffage, la climatisation, l’éclairage, l’eau chaude sanitaire et la ventilation. Elle a permis de mettre à niveau la performance énergétique dans les bâtiments neufs et rénovés.

Depuis, la loi sur la Transition énergétique devait être le vaisseau permettant d’aller plus loin dans la lutte pour une meilleure isolation du bâti français. En effet, certains aspects cruciaux de la consommation n’étaient pas pris en compte, à l’image de l’électricité spécifique (électroménagers, multimédia) et l’énergie grise du bâtiment (énergie nécessaire à la construction du bâtiment), qui représentent à elles seules 2/3 des consommations énergétiques d’une construction neuve. Ainsi, la RE 2018 a pour objectif d’aller plus loin et pose deux nouveaux critères permettant l’évaluation du bilan énergétique d’usage (BEPOS, bâtiment à énergie positive), ainsi que l’évaluation les émissions de gaz à effet de serre tout au long du « cycle de vie du bâtiment ». Le tout en incitant les professionnels du bâtiment à recourir aux énergies renouvelables.

Le coefficient énergie : quand le mieux est l’ennemi du bien

Ici, c’est la performance environnementale d’un bâtiment qui nous intéresse. Car, de fait, la RE 2018 se calque sur la réglementation de 2012, où la consommation énergétique est calculée sur la base des « fourchettes de seuils » selon la typologie de bâtiments (maison individuelle, collectif, tertiaire…) et d’un coefficient qui comptabilise l’énergie primaire utilisée pour obtenir l’énergie finale. Selon ce système, les énergies naturelles (le fioul ou le gaz, par exemple) ont un ratio de 1. En revanche, l’électricité, comme elle n’existe pas à l’état naturel et doit être produite à partir de différentes sources carbonées et décarbonées, affiche un coefficient fixé à 2,58 (cf plus bas). Autrement dit, un logement qui consomme 40 KWh de fioul, est noté à 40 (avec le ratio de 1), alors qu’un logement avec la même quantité d’électricité par m² sera noté à 103 (40 × le ratio de 2,58).

Ce calcul « à la fourchette » est très défavorable à l’électricité, mais aussi à terme pour l’environnement, en ce qu’il n’intègre pas totalement la notion d’émission de CO2, pourtant cruciale dans notre effort environnemental. Aussi, il méconnaît la totalité des impacts des différentes énergies, et il aboutit in fine à favoriser les énergies fossiles, qui ont un impact carbone plus important. Ainsi, sur une base représentative de plus de 200 bâtiments tertiaires répartis dans toute la France, le cabinet de conseil en ingénierie Sinteo (spécialisé dans la maîtrise de l’énergie et des problématiques carbones) a constaté qu’« à consommation similaire, un bâtiment dont la production de chauffage est réalisée par l’intermédiaire de l’électricité sera 60 % moins émetteur que s’il avait été alimenté au gaz. » Un résultat sans appel, qui n’est pourtant pas reflété par le système de la RE 2018.

Une méthode de calcul erronée

« Cette approche surestime les émissions de l’électricité, car elle repose sur une vision erronée du système électrique », explique Xavier Degon, expert de l’équilibre offre-demande de l’électricité chez EDF. Selon le système adopté par la RT 2012, la hausse de production électrique se serait accompagnée d’une augmentation de 12 mégatonnes d’émissions entre 1990 et 2015. Un calcul en contradiction totale avec les faits : malgré la hausse de la consommation électrique en France, les émissions du système électrique ont diminué de 45% sur cette période (d’après les chiffres clés du climat, France et Monde, Edition 2016, Ministère de l’Environnement). « Sur cette même période où l’électricité a diminué ses émissions de CO2 de -15 Mt, pour une augmentation de consommation équivalente, le gaz a augmenté ses émissions en France de +15 Mt », souligne M Degon.

Mais alors comment expliquer que l’électricité affiche un coefficient de 2,58 ? D’où sort ce chiffre ? Pour faire simple, l’électricité est certes la plus utilisée en France mais aussi celle qui nécessite le plus de transformation. Les experts de la RT 2012 ont donc estimé qu’avec les impacts de sa production, elle avait un rendement de 43,5% soit un coefficient de 2,32. A ceci s’ajoutent des pertes de l’ordre de 5 à 7% lors du transit sur les lignes. Ce qui nous amène à un rendement global de 38,5%, soit un coefficient de 2,58. Un coefficient qui peut paraître quelque peu arbitraire et défavorable à l’électricité.

La France figure parmi les bons élèves en émettant en moyenne 40 grammes de CO2 par KWh d’électricité produite – contre 430 grammes en Allemagne, par exemple. C’est 6 fois moins de CO2 qu’un KWh de gaz et 8 fois moins qu’un KWh de fioul domestique. Ces bons résultats sont liés à la nature du mix énergétique français, reposant à 76,3% sur la production nucléaire, qui affiche un très faible dégagement de carbone, et à 15% sur les énergies renouvelables (en 2015, selon RTE).

 

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