Mediator : « une goutte d’eau dans la mare »

Marc Girard, docteur en médecine, spécialiste en pharmacovigilance, auteur de plusieurs ouvrages polémiques sur les dérives de l’industrie pharmaceutique, il est expert européen (AEXEA) et consultant reconnu dans les questions concernant la pharmacie industrielle. Pour le Dr Marc Girard, le scandale du Mediator est symptomatique des graves dysfonctionnements du système de santé français.

Après l’affaire du Mediator, la revue Prescrire évoque de nouveaux médicaments à risques, le Mediator est-il le premier d’une longue série ?

Si c’était le cas, je serais content, mais je suis sceptique. Comme j’ai tenté de le documenter, le Mediator, c’est vraiment une goutte d’eau dans la mare. Il existe probablement des centaines de médicaments beaucoup plus toxiques que Mediator.

Le Mediator a coûté moins cher en 35 ans que le vaccin contre la grippe de l’an dernier en 3 mois, et les deux commissions d’enquête n’ont rien donné. J’en viens donc à me demander s’il n’y a pas des gens qui ont intérêt à se refaire une virginité dans cette affaire, parce que les Français se rendent compte que le système dysfonctionne et qu’il n’y a pas de sanctions.

Le Pr Even estime que 50% des 5 000 médicaments en circulation seraient au mieux inefficaces, au pire dangereux. Le rejoignez vous sur ce point ?

Ce ne serait pas ma façon de m’exprimer, je trouve cela un peu démagogique. Le Pr Even était pendant douze ans doyen de la faculté de Necker, où j’étais moi-même étudiant. Il affirme que les étudiants ont été mal formés.

A la place du Pr Even, avant de dénoncer les autres, je m’intéresserai à savoir pourquoi au bout de douze ans de doyennat, les jeunes sont aussi mal formés que cela ! Tout cela pour dire que je ne crois pas à l’efficacité politique d’une dénonciation qui voit toujours la faute chez les autres.

De plus, le Pr Even a eu d’importantes responsabilités dans l’administration sanitaire. Or, ce qui m’inquiète, dans l’affaire Mediator notamment, et je le dis depuis le début, c’est de voir que tous ceux qui ont une responsabilité de premier ordre dans cette histoire sont les premiers à hurler avec les loups et à crier au scandale.

Quels sont les principaux responsables dans l’affaire du Mediator ?

J’ai tendance à penser que quand les choses dysfonctionnent, c’est toujours en premier lieu, la faute de l’administration. Si demain on supprime tous les contrôles radar, je doute que tout le monde respecte les limitations.

Selon moi, on ne peut pas reprocher à l’industrie pharmaceutique, comme à toute autre industrie capitaliste, de vouloir faire de l’argent. En revanche, il y a des verrous de sécurité qui dysfonctionnent : tout d’abord les autorités sanitaires, puis les autorités de remboursement et enfin les prescripteurs.

Pourquoi la décision de retirer ce médicament du marché a-t-elle pris autant de temps ?

La question est de savoir qui a intérêt aujourd’hui, à lancer l’alarme sur ce micro scandale. Encore une fois, il en existe de bien plus important. Dans mon dernier ouvrage, j’abordais déjà avec la grippe, la question des dysfonctionnements dans l’évaluation.

Dans l’affaire du Mediator, il est actuellement intéressant pour certains d’affaiblir le groupe Servier, pour en faciliter par la suite sa transmission. D’autre part, comme on l’a vu avec la nouvelle campagne de vaccination contre la grippe, n’en déplaise à beaucoup, les Français sont moins bêtes qu’on ne l’imagine. Même si les enquêtes parlementaires ont été des caricatures qui n’ont abouti sur rien, les Français eux n’ont pas oublié et ils ont parfaitement pris la mesure d’un système corrompu.

Je me demande alors dans quelle mesure il n’y a pas eu une sorte de grande cérémonie sacrificielle ou d’autoflagellation pour expliquer qu’on a bien pris la mesure du problème, pour finalement repartir comme si de rien n’était. Globalement en France, tous les grands scandales médicamenteux n’ont débouché sur rien. Je cite dans l’ordre : le sang contaminé : relaxe, l’hormone de croissance : relaxe, le vaccin contre l’hépatite B : l’affaire a été révélée le 14 novembre 2002, rien ne s’est passé depuis, l’affaire Bayer dans laquelle j’étais expert : non lieu, le vaccin contre la grippe H1N1 : un énorme scandale, aucune sanction ni condamnation, on repart avec les mêmes?

Tous les gens qui se sont ridiculisés l’an dernier sur la grippe s’expriment de nouveau aujourd’hui en tant qu’experts indiscutables. Il y a un fossé fantastique entre la conscientisation du citoyen que quelque chose dysfonctionne dans le système et l’écho qui en est donné notamment par les grands médias, pour lesquels tout va bien.

Comment expliquer que les autorités sanitaires ne jouent pas leur rôle de garde-fous vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique ?

Trois paramètres doivent être pris en considération. Tout d’abord les liens d’intérêts, la plupart des membres du comité technique des vaccinations sont « maqués » avec les fabricants de vaccins. En second lieu, il y a énormément d’incompétence notamment en pharmacovigilance. On ne peut pas dire que tous les experts sont corrompus et on ne peut pas dire non plus que tous les experts sont des cons, mais trouver un expert pas corrompu et pas con, c’est difficile !

Le troisième aspect, c’est le manque de courage. Il existe des spécialistes beaucoup plus doués que moi mais qui ont peur. C’est une tradition médicale, à la faculté de médecine, on apprend à parler comme le dernier qui a parlé. Dans l’affaire du Mediator, tous les experts affirment qu’ils l’avaient bien dit? Mais qui en a vraiment parlé avant ? Personne, et surtout pas la revue Prescrire.

L’affaire du Mediator a-t-elle une chance d’ouvrir la boîte de pandore et de changer cette situation ?

Non, parce que je crois qu’il est difficile de lutter contre une marchandisation généralisée qui concerne l’ensemble de la société et bien entendu la santé. Malgré le sacro-saint principe de précaution et le risque zéro, des tas de médicaments sont administrés aujourd’hui à titre préventif.

Pour reprendre l’exemple du vaccin contre la grippe, on ne sait pas si vous allez attraper la grippe, pas non plus si cette grippe aura une forme maligne, pas non plus si cette forme maligne peut être combattue efficacement par le vaccin. Le fait d’être vacciner peut même vous rendre plus sensible aux formes malignes de la grippe. Dans ce cas précis, si le bénéfice tend vers zéro, le risque en revanche ne tend pas vers zéro, puisqu’on vous injecte des produits étrangers.

Et cette situation concerne la majorité des médicaments. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les produits vendus par l’industrie pharmaceutique et les chiffres de la CNAM. On trouve des anti-hypertenseurs, or l’hypertension artérielle n’est pas une maladie mais un facteur de risques, on trouve des hypocholestérolémiants, le cholestérol n’est pas une maladie mais un facteur de risques, on trouve des hormones de la ménopause? autant de médicaments à visée uniquement préventive.

La dérive actuelle s’explique en partie par le développement du médicament préventif ?

Il y a trente ans, lorsque l’on faisait de la médecine essentiellement currative, vous veniez avec une bronchite, je vous donnais un antibiotique. Si trois jours après vous reveniez me voir encore plus malade, et que plusieurs cas similaires se présentaient, ce retour d’expérience me permettait de ne plus prescrire cet antibiotique, même si on m’invitait à déjeuner, ou qu’on m’envoyait une visiteuse médicale plutôt jolie.

Aujourd’hui, lorsqu’on explique qu’il faut vacciner les bébés contre l’hépatite B, qu’il faut prescrire des hormones parce que dans trente ans vous risquez de vous casser le col du fémur, je n’ai aucun retour d’expérience. Je suis par conséquence entièrement dépendant de la seule information disponible distillée par l’industrie pharmaceutique. Parce que je ne connais pas un médecin qui soit capable de lire une étude épidémiologique, une chose que l’on n’apprend pas à la faculté. Les médecins ont donc accepté d’être les visiteurs médicaux d’une promotion pharmaceutique à visée préventive.

Cette situation inquiétante est-elle une spécificité française ?

La seule différence en France, c’est qu’il n’a pas de sanctions. Aux USA, Pfitzer a été condamné dans une récente affaire de promotion mensongère, à une amende de 1,5 milliard d’euros, indépendamment des dommages civils. Les juges ont bien compris que tout cela n’était qu’une goutte d’eau dans la mare des bénéfices de cette industrie, et n’hésitent plus à faire payer des sommes exorbitantes.

Pourquoi cela n’est-il pas possible en France ?

Vous allez m’entraînez sur le vaste sujet de l’organisation de la justice en France.

Selon vous, les procédures engagées contre le Mediator ne donneront donc pas grand-chose ?

Elles n’aboutiront jamais.

Malgré ce constat très pessimiste, y-a-t-il cependant un espoir que les choses changent ?

Je place mon espoir dans l’intelligence des Français. Les gens savent désormais qu’il existe un système d’évaluation des médicaments. Ils savent également aujourd’hui qu’il existe un système de surveillance qui est la pharmacovigilance. Or, il est maintenant clair que ces deux systèmes dysfonctionnent. Mon engagement citoyen est de fournir au quidam de base des informations et de susciter des interrogations.

Spécialiste de la question depuis de nombreuses années, lanceur d’alertes qui se sont souvent révélées justes, avez-vous été personnellement contacté par certaines autorités de santé ?

Oh non, ils me fuient comme la peste ! Lorsque la justice a eu recours à mon expertise dans certaines affaires, elle s’est ensuite sévèrement retournée contre moi. Aujourd’hui, une affaire comme celle du vaccin contre l’hépatite B est susceptible de faire basculer en dommages et intérêts n’importe quelle major de l’industrie pharmaceutique.

Particulièrement dans une période crise, existe-t-il une véritable volonté politique de mettre à genoux une vitrine industrielle française comme Sanofi ? Dans l’affaire du Mediator, je suis persuadé qu’il existe également des man?uvres destinées à favoriser une transmission à bas prix du groupe Servier dans l’escarcelle de Sanofi. L’attitude pro-active du Parquet dans cette affaire est pour moi le reflet des consignes gouvernementales qui lui sont données.

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