« Le Bisphénol A peut pénétrer par la peau »

Daniel Zalko, responsable de l’équipe Métabolisme des Xénobiotiques (MeX) à l’INRA UMR 1089 de Toulouse. Il vient de publier une étude révélant que la peau constitue une nouvelle voie de contamination potentielle au Bisphénol A. Les travaux de l’INRA et ceux publiés récemment aux Etats-Unis confirment une contamination au BPA probablement beaucoup plus importante qu’on ne le pensait jusqu’à présent.

Qu’est-ce que le Bisphénol A ?

Le Bisphénol A est un des composés chimiques les plus produits actuellement. Il possède des propriétés de « xeno-oestrogène », c’est-à-dire qu’il est capable de mimer les effets de l’oestradiol, l’hormone naturelle « féminine ». C’est ce qu’on appelle un perturbateur endocrinien.

Le Bisphénol A n’est pas un poison puissant. C’est une molécule qui est 1 000 à 10 000 fois moins active que l’oestradiol. Il existe un certain nombre de scientifiques qui ont montré que l’exposition au Bisphénol A provoquait des effets chez l’animal, même à de faibles doses. La question aujourd’hui est de savoir si ces résultats sont transposables chez l’homme.

Jusqu’à présent, que savait-on sur l’exposition au Bisphénol ?

La plupart des études démontrant un effet du Bisphénol A ont été réalisées sur des rats et des souris exposés au Bisphénol A lors de la période périnatale, c’est-à-dire au cours de la gestation ou de la période juste après la naissance. Ces études démontrent que lorsque le BPA est administré à la mère, l’appareil reproducteur des petits peut être touché, ces effets étant observés, après la naissance. Notre équipe a démontré en 2003, qu’environ 5% de la dose de Bisphénol A administrée à des souris en gestation était transmis au f?tus.

Pourquoi avez-vous lancé cette recherche ?

Il existe deux controverses scientifiques importantes aujourd’hui au sujet du Bisphénol A. Tout d’abord, il s’agit de savoir si le BPA provoque des effets, même en cas de faibles expositions. C’est le travail d’expertise des agences d’évaluation (l’ANSES, par exemple, au niveau français). Cette expertise est basée sur les travaux réalisés chez l’animal. Par ailleurs, depuis environ 2 ans, on s’interroge sur l’existence d’autres sources de contamination au Bisphénol A que l’alimentation chez l’homme, parce que les doses de bisphénol A retrouvées chez l’être humain ne concordent pas parfaitement avec les calculs théoriques (basés sur sa seule présence dans les aliments).

En parallèle, plusieurs auteurs ont constaté qu’une grand partie des tickets de caisses utilisés dans les imprimantes de caisses enregistreuses comportent du Bisphénol A sur l’une des couches du papier, servant de révélateur de coloration. Potentiellement, tout le monde peut être exposé par cette contamination.

Comment avez-vous réalisé cette étude ?

Nous avons cherché à savoir si cette exposition pouvait représenter un mode de contamination au Bisphénol A, car la peau n’est pas une barrière inerte. Après avoir déposé du Bisphénol A sur des peaux d’oreilles de porc en provenance d’un abattoir, nous avons constaté qu’environ la moitié de ce BPA passait cette barrière naturelle.

Par la suite, nous avons utilisé des explants de peau, c’est-à-dire des petits morceaux de peau humaine, avec lesquels nous avons obtenu des résultats quasiment identiques, avec plus de 40% de passage de cette molécule.

Cette contamination par la peau est-elle rapide ?

On observe un passage très rapide, déjà effectif en seulement 2 heures de temps, mais qui se poursuit pendant 24 heures. Et au bout de 3 jours, en cas de renouvellement de cette exposition sur la peau, il y a toujours absorption.

Les résultats de notre étude, ainsi que l’étude américaine qui vient de révéler des niveaux plus élevés de contamination au Bisphénol A chez des personnes manipulant régulièrement des tickets de caisse, semblent confirmer l’existence possible une deuxième source de contamination, en plus de la source alimentaire, au travers de la peau.

Pourquoi cette prudence ?

Sur le plan purement scientifique, il faudrait réaliser une expérimentation sur des personnes consentantes, dont la peau serait exposée au Bisphénol A. Mais c’est difficilement acceptable.

On sait que le Bisphénol A se trouve en grande quantité sur ces tickets de caisse. On constate par ailleurs des dosages plus élevés dans le sang chez des personnes particulièrement exposées à ces mêmes tickets. Enfin, nous venons de démontrer les mécanismes de passage très important du Bisphénol A à travers la peau.

On peut dire que vous avez un faisceau de preuves ?

Je dirai plutôt un faisceau de présomptions. Le chaînon manquant est l’expérimentation chez l’être humain, mais cela est valable pour toutes les études sur les perturbateurs endocriniens.

Au-delà des hôtesses de caisse, cette contamination concerne tout un chacun ?

Le Bisphénol A est une sorte de brique, qui peut être polymérisée de deux façons. Dans un cas, on obtient des polycarbonates, présents notamment dans beaucoup des bouteilles d’eau, stylos bille et certains biberons. Le problème avec ces polycarbonates, c’est notamment lorsqu’ils sont chauffés, la possibilité d’une dégradation de ce polymère.

L’autre utilisation de ce Bisphénol A est la production de résines dite « epoxy », qu’on retrouve à l’intérieur des canettes de boisson ou dans certaines boîtes de conserve, dans lesquelles on observe une sorte de laque blanche. Il peut y avoir une proportion de ces résines qui est dépolymérisée et se retrouve dans les aliments.

Dans ces deux cas, les industriels considèrent ces polymères comme inertes, ce qui n’est pas tout à fait vrai, puisqu’une partie peut reformer du monomère qui est le Bisphénol A, susceptible de passer dans les aliments. La particularité de cette exposition cutanée est que si on considère que les papiers thermiques peuvent être une source de contamination au Bisphénol A, en passant par la peau, la situation est un peu différente.

A la surface de ces papiers, on retrouve une poudre qui représente environ 1/1000e du poids total du papier, ce qui est relativement important, composé de Bisphénol A libre, c’est-à-dire non polymérisé, donc probablement plus accessible. Il suffit de toucher ces papiers pour se retrouver avec du Bisphénol A sur les doigts.

Cette contamination cutanée ne concerne-t-elle que les tickets de caisse ?

Ce qu’on dit, c’est que cette contamination par la peau est extrêmement efficace. S’agissant des plastiques et résines epoxy, on retrouve probablement 1 à 2% de Bisphénol A sous forme libre, le reste étant sous forme polymérisé. Dans ce cas, la contamination s’effectuera surtout par ingestion, mais on peut imaginer qu’elle puisse s’effectuer également par la peau.

On est donc en présence d’une contamination faible mais extrêmement répétée ?

Il s’agit d’une contamination quotidienne à des faibles doses. Après il s’agit de déterminer si cette contamination même à des faibles doses, a des incidences sur la santé, ce que tendent à prouver les études sur les animaux.

A la lumière de votre étude, faut-il réévaluer les risques sanitaires du Bisphénol A ?

Les agences sanitaires s’intéressent en priorité aux effets de Bisphénol A sur la santé, ce qui n’est pas l’objet de notre étude. En revanche, il est fort probable qu’à l’issue de notre publication, et des résultats américains publiés cette année, les agences relancent des études pour évaluer si on ne sous-estime pas la dose quotidienne de Bisphénol A à laquelle nous sommes exposés.

Cette réévaluation vous paraît-elle souhaitable ?

Oui, tout ce qui peut contribuer à mieux évaluer l’exposition de l’être humain à des toxiques potentiels est souhaitable. On pourrait envisager de conseiller à des femmes enceintes d’éviter de manipuler ce genre de papier, sachant que le Bisphénol A peut pénétrer par la peau. Il n’y a pas besoin d’être exposé à plus si on peut être exposé à moins.

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