Les femmes et les chômeurs de retour dans les bureaux de tabac

C’est une mauvaise surprise pour la santé, mais une très bonne pour les comptes publics. Pour la première fois depuis les années 1990, la consommation de tabac progresse de nouveau en France, à la faveur essentiellement d’un tabagisme en hausse chez les femmes et les chômeurs.

Les chiffres publiés hier par l’Inpes ont fait font l’effet d’une douche froide. Malgré une hausse régulière des prix du tabac, une importante politique de prévention et l’interdiction de fumer dans les lieux publics, les Français fument toujours et encore. Ils sont même plus nombreux à tirer sur leurs cigarettes, la proportion de fumeurs quotidiens remontant même à 28,7 %.

Depuis la loi Evin, la France n’avait jamais connu une telle hausse. La baisse du tabagisme observée en population masculine depuis les années 1970 semble désormais enrayée. Pire, on assiste même à une reprise du tabagisme féminin concernant en particulier les femmes nées entre 1945 et 1965, constate l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé.

Stabilité chez les hommes

Chez les personnes âgées de 15 à 75 ans, les fumeurs quotidiens ont augmenté de 2 points entre 2005 et 2010, passant de 26,9 % à 28,7 %. L’augmentation de la prévalence du tabagisme quotidien se révèle assez forte parmi les femmes (de 23,0 % à 25,7 %), et n’apparaît pas significative parmi les hommes (de 31,0 % à 31,8 %). Le tabagisme occasionnel reste stable que ce soit chez les hommes ou chez les femmes. Comme c’était déjà le cas en 2005, la proportion de fumeurs occasionnels diminue avec l’âge.

En 2010, les fumeurs quotidiens représentent désormais 28,7 % de la population, soit presque 2 % de plus qu’en 2005. Après 20 ans de recul, la tendance baissière semble aujourd’hui enrayée, à la différence de nos voisins européens. L’écart de niveau de consommation entre hommes et femmes est relativement important chez les trentenaires, probablement en raison des grossesses et de la présence d’enfants en bas âge au sein des foyers qui sont des opportunités d’abandonner le tabagisme plus volontiers saisies par les femmes, révèlent les chiffres de l’Inpes.

Chez les hommes de 20 à 25 ans, la prévalence du tabagisme quotidien a baissé de presque 5 points (de 47,0 % à 42,2 %). En revanche, elle augmente chez ceux âgés de 26 à 34 ans, passant de 41,2 % à 46,7 %. Parmi les femmes, la hausse apparaît particulièrement forte, de 7 points, chez celles âgées de 45 à 64 ans (passant de 16,0 % à 22,5 %) et relativement modeste voire inexistante sur les autres tranches d’âges. Cette hausse peut s’expliquer par trois éléments.

L’Inpes rappelle que les femmes sont entrées dans le tabagisme 20 ans après les hommes. La génération des femmes nées entre 1945 et 1965 est celle de l’émancipation féminine, qui s’est accompagnée d’une entrée dans le tabagisme, jusqu’alors stigmatisé pour les femmes. Cette entrée s’est faite aussi avec le développement de stratégies marketing spécifiques par l’industrie du tabac, avec l’apparition de produits ciblés par genre notamment.

La tranche d’âge 45-65 ans serait une période de vie plus propice à une reprise du tabagisme chez les femmes. L’existence de cette fragilité n’est pas nouvelle, souligne l’Inpes, mais on peut constater qu’en 2010, c’est une génération particulièrement fumeuse qui arrive à cet âge (avec des fumeuses qui n’arrêtent pas et d’anciennes fumeuses susceptibles de reprendre). Cette génération des femmes ayant une propension à rester ou redevenir fumeuses se situe dans un contexte de lutte contre le tabagisme moins centré sur les hausses des prix qu’il ne le fut entre 2000 et 2005, précise l’institut de prévention.

Consommation quotidienne de cigarettes en baisse

Paradoxalement, le nombre moyen de cigarettes fumées quotidiennement par les fumeurs réguliers semble, en revanche, avoir diminué, (15,4 cigarettes par jour en 2005 à 13,9 en 20102). Cette diminution semble plus importante chez les hommes (de 16,8 à 15,1) que chez les femmes (de 13,7 à 12,6). Ainsi, la proportion de fumeur de plus de 10 cigarettes est passée de 72,8 % en 2005 à 68,7 % en 2010.

Si la consommation de tabac a augmenté de 1,8% en cinq ans, le phénomène s’explique par la hausse du tabagisme chez les femmes, mais également par la crise et la hausse du chômage. Car si les femmes jouent malheureusement de plus en plus la parité en matière de tabac, la consommation de cigarettes surfe également sur les inégalités sociales et notamment sur la crise.

« A l’évidence, la crise [et] l’augmentation du chômage [ont] eu un effet sur l’augmentation de la consommation du tabac », a expliqué hier Roselyne Bachelot, la ministre la ministre de la Santé, en commentant ces mauvais chiffres sur RMC. « Pratiquement 50% des chômeurs sont fumeurs » a affirmé la ministre. « Je me rapproche de Pôle Emploi pour qu’il y ait une action spécifique » a annoncé Roselyne Bachelot.

Si certaines associations militent pour une hausse plus dissuasive des prix des cigarettes, le ministère de la Santé serait défavorable à une telle éventualité. A cette inégalité sociale, et sanitaire qui touche en priorité les chômeurs, il ne s’agit de rajouter une inégalité fiscale, estime-t-on du côté des fonctionnaires de l’avenue de Ségur.

Recettes fiscales supérieures à 10 milliards

En revanche, Roselyne Bachelot souhaite faire « mieux respecter la législation » sur l’interdiction de fumer, notamment dans les  cafés et les restaurants. Par ailleurs, la ministre entend également que « l’interdiction formelle de vendre du tabac aux mineurs » soit mieux respectée chez les buralistes.

La prochaine hausse des prix (6 %) est prévue pour le 8 novembre prochain. Représentant des recettes fiscales supérieures à 10 milliards d’euros, le tabac représente un enjeu paradoxal pour l’Etat. Tout à la fois vecteur de dépenses de santé, le tabac est également une source de revenus non négligeable pour les finances publiques.

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