Les agrocarburants, ça nourrit pas son monde

oxfam_jd_crola.JPGPar Jean-Denis Crola, d’Oxfam France, Agir ici, association écologiste qui milite contre les injustices mondiales. L’ONG organise une campagne pour faire pression sur le Conseil européen qui devrait décider en décembre prochain, d’introduire 10% d’agrocarburants dans les réservoirs d’ici à 2020.

Les agrocarburants sont présentés comme la solution miracle contre l’épuisement des réserves de pétrole mais également comme un remède au réchauffement climatique. Or ils menacent aujourd’hui les populations locales et les cultures vivrières en accaparant la terre et les ressources naturelles. Ils contribuent également à la hausse mondiale des prix alimentaires qui a plongé près de 300 millions de personnes supplémentaires dans la faim et la pauvreté. Ce chiffre, déjà intolérable, pourrait doubler d’ici à 2025 si l’actuelle ruée sur les agrocarburants se poursuit.

Oxfam France ? Agir ici, les Amis de la terre et le CCFD ? Terre solidaire lancent avec des associations indonésienne, colombienne, béninoise et brésilienne, ainsi qu’avec le soutien de 25 autres organisations une campagne nationale pour souligner les impacts catastrophiques d’un développement à grande échelle des agrocarburants, et ce à tous les niveaux : alimentaire, environnemental et social.

Cette campagne propose aux citoyens d’interpeller Nicolas Sarkozy, président du Conseil européen et Michel Barnier, ministre français de l’agriculture afin qu’ils s’opposent à tout objectif chiffré de consommation d’agrocarburants. Elle vise également les Présidents des Conseils régionaux pour qu’ils développent des alternatives au transport routier.

Comment les agrocarburants participent à la crise alimentaire mondiale

Les prix des denrées alimentaires ont doublé ces trois dernières années. Les politiques de développement des agrocarburants sont un des principaux facteurs de cette augmentation, avec pour conséquences la récente crise alimentaire, également due à l’enchaînement de mauvaises récoltes, à la demande des pays émergents, à la faiblesse des stocks de céréales et à la surenchère spéculative.

Sur des marchés alimentaires extrêmement tendus ? les stocks mondiaux ne permettant la consommation de céréales que de quelques semaines ? toute augmentation brutale de la demande à une répercussion très forte sur les prix. L’OCDE estime que près de 60 % de l’augmentation de la consommation de céréales et d’huiles végétales est, entre 2005 et 2007, imputable aux agrocarburants et le Fonds monétaire international considère que l’augmentation de la demande en agrocarburants compte pour 70 % dans la hausse des cours mondiaux du maïs en 2007.

Pour des ménages qui dépensent jusqu’au 3/4 de leurs revenus dans l’alimentation, les conséquences de la hausse des prix sont dramatiques : chaque point de pourcentage d’augmentation plonge 16 millions de personnes dans la pauvreté et la faim, alors que 2,6 milliards d’individus vivent déjà avec moins de 2 dollars par jour.

Le nombre de personnes qui souffrent de la faim dans le monde est passé de 850 à 925 millions de personnes entre 2007 et 2008 et près de 300 millions de personnes supplémentaires dans le monde nécessitent une assistance immédiate. Mais, dans la mesure où l’Agence internationale de l’énergie prévoit un décuplement de la consommation totale d’agrocarburants entre 2004 et 2030, 600 millions de personnes supplémentaires devraient souffrir de la faim à cette date.

Une part considérable des terres des pays du Sud est déjà utilisée pour des productions non alimentaires (la culture du soja au Brésil représente 20 millions d’hectares, dont la majeure partie est destinée à l’alimentation animale des pays du Nord). Pourtant, les pays du Nord doivent aussi importer des pays du Sud des quantités considérables de matières premières pour atteindre leurs objectifs de consommation d’agrocarburants, ce qui favorise le développement de monocultures d’exportation, aux dépends d’une agriculture familiale et vivrière destinée aux marchés locaux.

Les politiques de développement des agrocarburants vont donc à contre-courant de l’éradication de la pauvreté et de la faim dans le monde, pourtant premier objectif du Millénaire pour le développement, que les pays développés se sont engagés à atteindre d’ici 2015.

60 millions de personnes menacées d’expropriation

Si le coton, le cacao et le café ont longtemps été les premiers produits d’exportation du Sud, aujourd’hui, ce sont les cultures à vocation énergétique qui bénéficient de toute l’attention des pays industrialisés. Pourtant, ce marché créé de toutes pièces est loin de mener au développement. L’agrobusiness méprise les droits fonciers et coutumiers des populations locales et son impact sur les droits de l’Homme est bien réel.

Les petits producteurs du Sud sont contraints de laisser les meilleures terres aux grands groupes agro-industriels ou de modifier leur production, au détriment des cultures vivrières et de leur mode de vie traditionnel. Alors que les agricultures familiales sont très peu soutenues par les politiques mises en place dans les pays du Sud, les agro-industriels bénéficient de zones franches ou de réduction de taxes pour favoriser leurs investissements dans le secteur des agrocarburants ou profitent tout simplement de vides législatifs, comme c’est majoritairement le cas en Afrique.

La course des entreprises et des investisseurs pour acquérir de nouvelles terres entraîne le déplacement de populations vulnérables dont les droits à l’accès à la terre sont peu protégés, violant notamment la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones adoptée en 2006. Aujourd’hui, 60 millions de personnes sont menacées d’être déplacées de leurs terres pour faire place aux plantations nécessaires à la production d’agrocarburants. Cinq millions d’entre eux vivent dans la région indonésienne de Kalimantan Ouest.

Un terreau fertile pour l’esclavagisme moderne

Dans les pays du Sud, les conditions de travail dans les plantations d’agrocarburants sont parfois inhumaines et s’apparentant plus à l’esclavagisme moderne. On constate notamment la persistance d’un travail forcé et servile, l’interdiction de s’organiser en syndicat, l’absence de formation en santé et en sécurité ainsi qu’un système de paiement à la pièce qui discrimine systématiquement les femmes et provoque le recours régulier au travail des enfants.

Pourtant, il est difficile de faire progresser ces conditions de travail quand les lois, l’absence de droit du travail et le recours à l’intimidation sont autant d’obstacles à la syndicalisation des travailleurs que certains gouvernements locaux sont peu pressés de protéger. Une aubaine pour les multinationales et les groupes financiers de faire fructifier leurs investissements.

Une menace lourde pour l’environnement

De l’augmentation des pollutions chimiques et du risque génétique à l’appauvrissement de la biodiversité, des sols et des réserves en eau, le développement massif des agrocarburants a des graves impacts écologiques sur notre planète, au Nord comme au Sud.

Pour justifier le recours aux agrocarburants, la Commission européenne met en avant la réduction de la dépendance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre (GES. Mais l’efficacité énergétique et l’impact écologique des agrocarburants sont fortement remis en question, dès que l’ensemble des impacts est pris en compte dans les analyses de cycle de vie.

De la culture des végétaux jusqu’à la sortie de l’usine, la production d’agrocarburants nécessite un apport d’énergie important, largement minimisé par leurs promoteurs. L’efficacité énergétique de l’agroéthanol de blé est de 1,4. Par ailleurs, l’agriculture productiviste européenne utilise de larges quantités d’intrants. Chaque hectare de colza nécessite en France l’apport de 170 kilos d’engrais azoté, qui en se dégradant, produisent du protoxyde d’azote au pouvoir réchauffant 300 fois supérieur à celui du CO2.

Au Sud, l’extension des cultures à vocation énergétique se fait au détriment de la forêt primaire au Brésil, en Indonésie ou en Malaisie. En Indonésie, l’équivalent en forêt d’un terrain de football disparaît toutes les dix secondes pour laisser la place aux plantations de palmiers à huile.

> Pour en savoir + : Campagne et pétition sur www.agrocarb.fr

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